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Whipping Girl - Jubilation : discutons des hormones et des différences de genre

Traduction 8 juil. 2022

Source : (trouvable sur les internets mondiaux)

Autrice : Julia Serano

Traducteurice : Maddykitty

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Whipping Girl, par Julia Serano

Le passage suivant est extrait du livre de Julia Serano, Whipping Girl, aux éditions Seal Press : “chapter 4 - Boygasms and Girlgasms: A Frank Discussion About Hormones and Gender Differences”.

Whipping Girl
“A foundational text for anyone hoping to understand transgender politics and culture in the U.S. today.” —NPRNamed as one of 100 Best Non-...

[CW sexe]

Si je suis plutôt réticente à l'idée de satisfaire la fascination des gens pour les détails de ma transition physique, j'ai souvent fait des exceptions pour ce qui est des changements psychologiques que j'ai vécus avec les hormones. La raison est simple : les hormones sexuelles sont devenues horriblement politiques dans notre culture, comme en témoigne la façon dont les gens accusent la testostérone d'être responsable des agressions et des violences des hommes. De la même façon, des femmes légitimement en colère ou bouleversées sont renvoyées à leur cycle hormonal. De telles croyances ont fortement influencé la médecine, comme en témoignent les innombrables études pseudo-scientifiques qui prétendent vérifier les préjugés populaires sur la testostérone et les œstrogènes. Bien entendu, cette politisation manifeste a créé en retour un discours qui tente de réduire le rôle des hormones sur les comportements humains. Il y est affirmé que la plupart des effets hormonaux présumés (l’agressivité des hommes et l'émotivité des femmes) s'expliquent mieux par la socialisation. Après tout, les jeunes garçons sont encouragés à être agressifs et découragés à montrer leurs émotions, et inversement pour les filles. Au vu de mes expériences de première main, je pense qu'il est de mon devoir de résoudre ce débat nature/culture en offrant la description et l'interprétation suivantes de mes expériences personnelles de “transition” de la testostérone aux œstrogènes et à la progestérone. Mais avant de commencer, deux points me semblent importants avant toute discussion sur les hormones. Premièrement, contrairement à une croyance populaire, les hormones n'agissent pas simplement comme des interrupteurs qui contrôlent le développement corporel.

Chaque individu possède à la fois des androgènes (ce qui inclut la testostérone) et des œstrogènes dans son organisme, même si la balance penche davantage vers le 1er type d'hormones pour les hommes et le 2ème pour les femmes. Il y a non seulement différents types d'androgènes et d’œstrogènes, mais ces hormones requièrent différents types de récepteurs pour fonctionner, sont métabolisées par d'innombrables enzymes qui peuvent modifier l'équilibre en convertissant une hormone en une autre. Les hormones fonctionnent en régulant les niveaux de “gènes en aval”, qui sont directement responsables de la production des effets hormonaux spécifiques.

Brin d'ADN en amont et en aval

En raison de toutes ces variables, il existe un grand nombre de variations naturelles dans la façon dont les individus ressentent et traitent certaines hormones.

La seconde chose à garder en tête, c'est la difficulté à distinguer les effets hormonaux “réels” d'effets perçus ou présumés. Par exemple, peu après que j'aie commencé mon traitement hormonal, j'ai eu une forte envie de manger des œufs. J'ai attribué ça immédiatement aux hormones jusqu'à ce que d'autres femmes trans me disent qu'elles n'avaient jamais eu de telles envies. Peut-être était-ce un effet hormonal que j'étais la seule à connaitre. Ou peut-être que je traversais une phase “œuf” qui coïncidait avec le début de mon traitement hormonal. D'où le problème : non seulement les hormones nous affectent différemment, mais nous pouvons parfois leur attribuer ou projeter sur elles nos propres attentes.

Pour ces raisons, je me contenterai de décrire les expériences de changement hormonal qui sont corroborées par d'autres femmes trans avec qui j'en ai discuté. De plus, au lieu d'aborder les effets plus physiques des hormones (c'est-à-dire la répartition muscle/graisse, la croissance capillaire, etc.) qui ne sont pas contestés, je me concentrerai principalement sur les changements “psychologiques” dont j'ai fait l'expérience, donc mes changements émotionnels, sensitifs et ma sexualité. Ceux-ci sont apparus rapidement lorsque j'ai commencé la prise d’œstrogènes en complément d'un anti-androgène, qui supprime les niveaux de testostérone endogènes (NdT : propres à la production de nos corps), afin de modifier mon équilibre hormonal et atteindre des taux proches de ceux de la plupart des femmes adultes.

L'estradiol, la principale hormone sexuelle œstrogène chez l'homme et un médicament largement utilisé.

Il est souvent dit que les hormones féminines rendent les femmes plus émotionnelles que les hommes, mais, à mon avis, de tels propos sont réducteurs. Comment pourrais-je donc décrire les changements que j'ai vécus ? Rétrospectivement, quand la testostérone était l'hormone sexuelle dominante de mon cycle hormonal, c'était comme si un voile opaque était posé sur mes émotions. Elle atténuait leur intensité, les rendaient pâles et vagues, comme des fantômes qui voudraient me hanter. Mais sous œstrogènes, mes émotions n'ont pas changé. Sauf que maintenant, elles me semblent limpides. Pour le dire autrement, ce ne sont pas les émotions en elles-même, mais leur intensité qui change. Les émotions fortes le sont davantage et inversement. On pourrait également dire que je ressens davantage mes émotions maintenant ; elles sont au premier plan plutôt qu'à l'arrière-plan de mon esprit.

L'anecdote qui illustre peut-être le plus ce changement s'est produite environ deux mois après que j'ai commencé mon traitement hormonal. Ma femme Dani et moi nous sommes disputées et à un moment donné, je me suis mise à pleurer, ce qui n'était pas si rare lorsque j'étais hormonalement un homme. Ce qui était différent par contre, c'est qu'au bout d'une minute je me suis mise à rire tout en continuant de pleurer. Quand Dani m'a demandé pourquoi je riais, j'ai répondu : “Je ne peux pas m'arrêter.” Avant le traitement, j'ai toujours eu l'impression d'être capable d'arrêter de pleurer, de retenir mes larmes, si je le voulais vraiment. Aujourd'hui, j'ai l'impression qu'il m'est impossible de les retenir une fois que j'ai commencé à pleurer. J'ai appris à faire avec, à me laisser pleurer, et le résultat est bien plus cathartique.

En général, quand bien même mes émotions sont maintenant plus intenses, je n'ai certainement pas l'impression qu'elles fassent obstacle à la logique ou à la raison, ni qu'elles contrôlent à elles seules chacune de mes pensées ou de mes décisions. Je reste parfaitement capable d'agir de manière rationnelle plutôt que de suivre mes sentiments. Cependant, je ne peux plus complètement ignorer mes émotions (du moins autant qu'avant), les réprimer, ou entièrement les faire disparaitre de mon esprit.

Ce changement émotionnel se répercute aussi sur mon sens du toucher. Je ne peux dire avec certitude que mon sens du toucher s'est amélioré, que je suis capable de sentir des choses que je ne sentais pas avant, mais ça joue un grand rôle dans mon expérience du monde. Chaque fois que je m'intéresse à quelque chose, que ce soit un livre, une œuvre d'art, un vêtement, un objet ou une matière quelconque, je me sens obligée de toucher, manipuler, comme si ma compréhension était incomplète sans la connaissance tactile que la sensation me procurait. En revanche, je me satisfaisais de la vue d'un objet pour lequel j'avais de l'intérêt.

Contrairement à mes émotions et mon sens du toucher, qui semblent avoir surtout augmenté en intensité, mon sens de l'odorat a clairement augmenté en sensibilité. C'est-à-dire que je peux maintenant sentir des choses que je n'étais pas capable de détecter auparavant. Même si ça sonne un peu cliché, au cours du premier printemps qui a suivi ma transition, j'ai été époustouflée par l'odeur des fleurs. Alors que je les avais toujours trouvés très parfumées, j'ai soudain senti toutes ces notes subtiles et des parfums dont je n'avais jamais eu conscience auparavant. J'ai aussi eu une expérience similaire avec l'arôme de certains plats. Mais la facette la plus intéressante de ce changement, ce sont les nouvelles odeurs qui émanaient des gens. Je trouve que les hommes ont parfois une odeur très forte, un peu sucrée, que je ne connaissais pas auparavant. Mais je n'ai pas seulement acquis la capacité de repérer les odeurs ou les “phéromones” des hommes, je peux aussi détecter de nouvelles odeurs chez les femmes. Pendant ma transition, je me suis rendu compte que lorsque j'embrassais Dani ou que je collais mon nez dans son cou, c'était comme un feu d'artifice dans ma tête. J'étais submergée d'odeurs incroyablement douces, apaisantes et sensuelles qui me stimulaient à la fois sexuellement, mais me faisaient également sentir plus proche d'elle, comme si j'étais connectée à elle d'une manière nouvelle. L'accroissement de mon sens du toucher et de l'odorat, et la façon dont je me sentais davantage en contact avec mes émotions, m'a conduit à me sentir davantage en phase avec le monde, et avec les gens qui m'entourent.

Le changement le plus profond qui a accompagné ma prise d'hormones concerne ma sexualité. En fait, le premier changement notable, qui a eu lieu durant les quelques semaines qui ont suivi la prise d’œstrogènes/anti-androgènes, a été une forte diminution de ma libido. Je l'ai remarqué pour la 1ère fois à la fin d'une semaine particulièrement chargée, après que j'ai travaillé de nombreuses heures et suis sortie tard de nombreuses nuits. Je me suis soudain rendu compte, après coup, que je n'avais eu aucun rapport sexuel et que je ne m'étais pas masturbée de la semaine. Cette information pourrait ne pas sembler impressionnante pour qui me lit, mais pour moi, à ce moment, c'était complètement inédit. Il ne se passait pas un jour, deux maximum, sans une forme de défoulement (en fait, pendant la majeure partie de ma vie d'adulte, la masturbation était une activité à laquelle je me livrais de une à trois fois par jour). La baisse de ma libido ne signifiait pas pour autant que j'avais perdu tout intérêt pour le sexe. J'avais toujours beaucoup de plaisir à me masturber et à avoir des rapports sexuels, mais leur fréquence a changé. De plusieurs fois par jour, c'est passé à trois ou quatre fois par semaine.

Si la quantité de mes expériences sexuelles a diminué, la qualité de celles-ci s'est grandement améliorée. C'est d'ailleurs la raison du nom de ce chapitre. Pour moi, la différence de réponse de mon corps aux stimuli sexuels, ou de quelle façon je jouis, si vous préférez, a été le changement le plus significatif de ma prise d'hormone. Ces changements ont également démarré au début de ma prise d'hormones. Et si j'ai perdu la capacité de maintenir des érections, ce que je trouvais auparavant excitant, le mouvement de va-et-vient que les hommes semblent préférer, ne l'était plus du tout. J'avais besoin de plus. J'ai donc commencé à faire des expériences avec les vibromasseurs de Dani. Alors que je les avais déjà essayés par le passé, leur stimulation m'avait toujours semblé trop violente, mais maintenant c'était incroyable. Autre changement, lorsque j'étais un homme hormonalement parlant, toute stimulation me poussait à atteindre très vite l'orgasme ; si je voulais faire durer l'expérience, il fallait que je me retienne. Mais maintenant il me semble que mes orgasmes sont plus puissants, me tordant pendant 15 bonnes minutes dans un état sexuel plus intense que tout ce que j'ai pu expérimenter auparavant. Ceux-ci sont plus proches de ce que peut expérimenter une femme : ils prennent plus de temps (mais valent l'attente), chacun semble d'une saveur et d'une intensité différente, ils sont moins centralisés et plus diffus à travers mon corps et sont souvent multiples.

Ce n'est pas une surprise, la modification de mes sens a également grandement influencé ma sexualité. Je suis non seulement plus stimulée sexuellement par l'odeur de ma partenaire, mais l'accroissement de mes sens tactiles allume mon corps, le rend comme électrique, pendant les rapports sexuels. L'endroit le plus évident, ce sont mes tétons, qui semblent avoir une connexion directe avec mon entrejambe. Il m'est également apparu que ma sexualité a moins besoin de stimulation visuelle. Je ne m'en suis pas rendue compte tout de suite, sûrement parce qu'il est plus difficile de remarquer la perte graduelle d'une sensation que l'apparition d'une nouvelle. Je m'en suis aperçue il y a un an, quand j'ai commencé à prendre de la progestérone 10 jours par mois, afin de simuler l'expression endogène de la progestérone chez la plupart des femmes. La première chose que j'ai remarquée en prenant de la progestérone, c'est que ma libido, en particulier en réponse à un stimulus visuel, a fortement augmenté. En fait, les effets de la progestérone sur ma vue me rappelaient les stimuli visuels que provoquait la testostérone.

En entendant mon expérience, je suis sûre que certaines personnes, notamment celles qui favorisent les explications sociales de la différence de genre, seront déçues par la nature prévisible de ma transformation. Certain·es pourraient même être tenté·es de penser que j'adhère aux stéréotypes féminins lorsque je me décris comme davantage sensible, larmoyante, fleur bleue et moins agressive sexuellement. Ces expériences sont régulièrement décrites par d'autres femmes trans, mais les hommes trans font généralement les récits inverses : ils décrivent pratiquement tous une augmentation de leur libido (davantage rattachée à une stimulation visuelle), des orgasmes typiquement masculins (plus centralisés, atteints plus rapidement), une diminution de leur sens olfactif et une plus grande difficulté à pleurer et à discerner leurs émotions.[1]

D'autre part, les personnes qui sont impatientes de voir confirmer les préjugés populaires qui existent sur les hormones vont être tout aussi déçues d'entendre ce qui n'a pas changé pendant ma transition hormonale : mon orientation sexuelle, le type de femme qui m'attire, mes goûts musicaux, films et activités, mes conceptions politiques, mon sens de l'humour, mon niveau d'agressivité, de compétition, d'éducation, ma créativité, mon intelligence, ainsi que ma capacité à lire des cartes ou faire des mathématiques. Il serait irresponsable de ma part de dire que ces caractéristiques humaines sont totalement indépendantes des hormones (car il est possible que les hormones fœtales jouent un rôle dans la prédisposition de celles-ci). Cependant, il est clair qu'elles ne sont pas contrôlées par les niveaux d'hormones adultes comme beaucoup de gens le prétendent ou le supposent.

Si les récits transsexuels sur les hormones sont largement en accord les uns avec les autres, je trouve également éclairant d'examiner les différences plus subtiles entre nos expériences individuelles. Par exemple, j'ai entendu nombre d'hommes trans décrire la façon dont ils ont commencé à consommer du porno de façon compulsive après la prise de testostérone. Si ma sexualité était davantage d'ordre visuelle lorsque j'étais hormonalement un homme, et qu'il m'arrivait de consommer du porno à l'occasion, j'avais une préférence pour les histoires et les fantasmes érotiques plutôt que les images de corps nus. J'ai également entendu des hommes trans dire qu'ils ne pleuraient pratiquement plus depuis la testostérone, alors qu'il m'arrivait souvent de pleurer (pas autant que maintenant). Certains hommes trans décrivent également une augmentation de leur agressivité ou de leur désir de compétition (alors que d'autres se décrivent comme beaucoup plus calmes).[2] Cependant, sous testostérone, je n'avais pas l'impression d'être un homme particulièrement agressif ou compétitif. Ça ne veut pas dire que j'étais passive, car j'étais toujours motivée et désireuse de réussir toutes les tâches que j'entreprenais. Mais je n'ai jamais vraiment ressenti le désir de réussir au dépend des autres.

Il est donc clair que les niveaux de testostérone typiquement hommes, en soi, ne suffisent pas à produire les comportements stéréotypiques attendus de la part des hommes, très probablement en raison de la variabilité qui existe entre individus, et la façon dont cette hormone est traitée et ressentie. Si une part de moi est tentée d'attribuer mon apparente imperméabilité à la testostérone au fait que je suis trans, que d'une certaine façon, je n'ai jamais été pleinement un homme, je réalise également que de nombreuses personnes cis font exception. Je connais de nombreux hommes non-trans qui consomment peu de porno, qui ne sont pas particulièrement agressifs, et/ou qui pleurent souvent. J'ai aussi rencontré des femmes avec de forts taux de libido, qui consommaient du porno et/ou qui étaient aussi agressives ou compétitives que le mâle alpha moyen. Il semble ainsi qu'il y ait de plus grandes variations entre les femmes et entre les hommes qu'entre les moyennes de ces deux groupes.

La reconnaissance de cette variation est absolument cruciale afin de dépasser les débats bien trop réducteurs (et binaires) biologie/socialisation sur le genre. Après tout, les différences biologiques des hormones sont bien réelles : la testostérone va probablement faire qu'une personne pleure moins souvent et augmenter sa libido que pourraient le faire les œstrogènes. Cependant, si l'on devait affirmer que ces différences biologiques représentent une différence de genre essentielle, qui serait vraie pour toutes les femmes et tous les hommes, on aurait tort. Certains hommes pleurent plus que certaines femmes, et certaines femmes ont une libido plus élevée que certains hommes. Ce qui est sans doute le plus révélateur, c'est que, en tant que société, nous régulons les comportements influencés par les hormones d'une façon qui exagère leurs effets naturels. Nous décourageons activement les garçons de pleurer, quand la testostérone elle-même réduit les chances que ça se produise. Et nous encourageons les hommes à satisfaire leur libido (en les qualifiant d' “étalons”) quand nous décourageons les femmes de faire de même (en les traitant de “salopes”), malgré le fait que la plupart des femmes finissent par avoir une libido inférieure à celle des hommes.

Si de nombreux théoriciens du genre concentrent leurs efforts pour tenter de démontrer que ce type de socialisation produit des différences de genre, il me semble plus correct de dire que certains actes de socialisation tendent à exagérer des différences de genre biologiques déjà existantes. Pour le dire autrement, la socialisation agit sur les comportements exceptionnels (les hommes qui pleurent souvent ou les femmes avec une libido importante) afin de cacher ou freiner ces tendances, plutôt que de se situer simplement sur le spectre de la diversité de genre. En tentant de freiner ou d'effacer ces exceptions, la socialisation distord les différences de genre pour créer l'impression que des différences essentielles existent entre les femmes et les hommes. Le rôle premier de la socialisation est donc, non pas de produire les différences genrées à partir de rien, mais de créer l'illusion que les femmes et les hommes sont mutuellement exclusifs, des sexes “opposés”.

Reconnaitre la distinction entre les différences de genre biologiques et l'essentialisme pourrait avoir d'énormes répercutions sur le futur du militantisme de genre. À partir du moment où il existe une variation naturelle dans nos conduites et la façon dont nous faisons l'expérience du monde, les tentatives qui visent à minimiser les différences de genre (en insistant pour que les gens s'efforcent d'être androgynes ou unisexes) sont plutôt inutiles. Nous devrions plutôt apprendre à embrasser la diversité de genre, qu'elle soit typique (des femmes féminines et des hommes masculins) ou exceptionnelle (des femmes masculines et des hommes féminins). De plus, étant donné que certaines caractéristiques considérées comme féminines (être plus à l'écoute de ses émotions) ou masculines (être préoccupé par le sexe) sont clairement affectées par nos hormones, les tentatives des théoriciens du genre de faire de la féminité et de la masculinité quelque chose d'artificiel ou de performatif semble complètement déplacé. Au lieu de nous concentrer sur la manière dont la féminité et la masculinité sont produites (un problème qui domine malheureusement le champ des études de genre récentes), nous devrions regarder de quelle façon ces caractéristiques genrées sont interprétées.

Le problème de cette interprétation devient évident lorsqu'on prend en compte les personnes transsexuelles. Par exemple, on peut remarquer la façon dont la description des changements hormonaux sont plus valorisés chez les hommes trans que chez les femmes trans. Les hommes trans font l'expérience d'une augmentation de leur libido, deviennent moins émotionnels, et leurs corps deviennent plus fermes et plus forts. Tous ces changements ont des connotations positives dans notre société. Au contraire, j'ai connu une baisse de libido et suis devenue plus émotionnelle, douce et frêle. Ces changements sont vus comme négatifs. La raison en est évidente : dans notre culture, la féminité et le fait d'être une femme ne sont ni valorisées ni appréciées de la même façon que le sont la masculinité et le fait d'être un homme. Et si je me suis sentie valorisée personnellement pendant ma transition en embrassant ma féminité et le fait d'être une femme, je me suis néanmoins sentie accablée pour toutes les connotations négatives que les autres projetaient sur moi. Celles-ci étaient non seulement projetées sur mon corps de femme, mais aussi sur mes hormones elles-même : de l'étiquette d'avertissement présente sur la boite de progestérone où on peut lire “Peut causer de la somnolence ou des étourdissements” et “Évitez d'utiliser des équipements lourds”, jusqu'aux hommes qui supposent que mes hormones sont responsables du fait que je suis en désaccord avec leurs opinions, et aux femmes qui ricanent en disant “Pourquoi voudriez-vous faire ça ?” quand elles apprennent que j'ai choisi de modifier mon cycle hormonal.
Quand nous commencerons à voir le genre comme socialement exagéré (plutôt que socialement construit), nous pourrons enfin nous attaquer à la question du sexisme dans notre société, sans avoir à rejeter ou décrédibiliser le sexe biologique dans le processus. Si les différences biologiques de genre sont bien réelles, la plupart des connotations, valeurs et suppositions qu'on associe à la biologie ne le sont pas.


  1. Pour des récits d'hommes trans sur les hormones, voir Patrick Califia, Speaking Sex to Power: The Politics of Queer Sex (San Francisco: Cleis Press, 2002), 393-401 ; Jamison Green, Becoming a Visible Man (Nashville: Vanderbilt University Press, 2004), 98-102, 151-152 ; Henry Rubin, Self-Made Men: Identity and Embodiment Among Transsexual Men (Nashville: Vanderbilt University Press, 2003), 152-163 ; et Max Wolf Valerio, The Testosterone Files: My Hormonal and Social Transformation from Female to Male (Emeryville, CA: Seal Press, 2006). ↩︎

  2. Résumé dans Joan Roughgarden, Evolution’s Rainbow: Diversity, Gender, and Sexuality in Nature and People (Berkeley: University of California Press, 2004), 220-221 ; voir également les sources citées dans la note précédente. ↩︎

Mots clés

MaddyKitty

Anarchiste et femqueer