Whipping Girl - Accepter et comprendre la Transidentité et la Transsexualité
Source : (trouvable sur les internets mondiaux)
Autrice : Julia Serano
Traducteurice : Maddykitty
Revenir au manifeste d'une femme trans
Notes de traduction : aux termes MtF et FtM, j'y accolle les notions plus modernes qu'utilise Julia Serano par la suite de transmasculin/transféminin. Certains termes anglais sont conservés, puisqu'ils sont d'usage également dans la langue française : MtF, FtM, drag, she-male.
Le passage suivant est extrait du livre de Julia Serano, Whipping Girl, aux éditions Seal Press : “Chapter 1 - Coming to Terms with Transgenderism and Transsexuality”.
La plupart des personnes non-trans ignorent les termes que nous utilisons dans la communauté trans pour parler de nous, de nos expériences et des problèmes auxquels nous faisons face. Les livres et sites internet qui parlent de la transidentité et de la transsexualité possèdent souvent un genre de glossaire, où ces termes sont présentés et définis de manière ordonnée et dans l'ordre alphabétique. Cependant, l'approche du glossaire peut donner l'impression que tous ces mots et expressions liés au vocabulaire transgenre sont en quelque sorte gravés dans la pierre, transmis de manière indélébile de génération en génération. Ce n'est pas du tout le cas. De nombreux termes utilisés de nos jours pour décrire les personnes transgenres n'existaient pas il y a 10 ans. Inversement, de nombreux termes que nous utilisions il y a 10 sont maintenant considérés comme démodés, dépassés et même jugés offensants pour de nombreuses personnes de la communauté transgenre. Même les termes les plus fréquemment utilisés font l'objet régulier de débats, car les personnes trans peuvent définir les mots d'une manière légèrement différente ou avoir des préférences esthétiques ou politiques pour certains mots plutôt que d'autres. C'est pourquoi, au lieu d'un glossaire, j'utiliserai ce chapitre afin de définir nombre de termes spécifiques à la transidentité utilisés tout au long du livre, afin d'expliquer pourquoi j'ai choisi ces mots et expressions plutôt que d'autres.
Il est difficile de parler des personnes transsexuelles ou transgenres sans définir au préalable les mots “sexe” et “genre”. Le “sexe” fait généralement référence au fait qu'une personne est physiquement femme et/ou homme. Étant donné que les traits physiques que nous prenons le plus souvent en compte pour décrire le “sexe” sont d'origine biologique (par exemple, les chromosomes sexuels, le système reproductif, etc.), on a tendance à considérer le sexe comme un aspect “naturel” du genre. Or, ce n'est pas tout à fait le cas. Les attentes et suppositions culturelles jouent un rôle important dans la façon dont nous considérons et déterminons le sexe. Par exemple, dans notre culture, de telles suppositions sont centrées sur l'aspect génital : le sexe d'un individu est associé à la naissance sur la base de l'absence ou de la présence d'un pénis. Ainsi, nos organes génitaux jouent un rôle plus important pour déterminer notre état civil que ne le font les chromosomes (ce qui, dans la plupart des cas, n'est même pas examiné) ou notre capacité de reproduction. Après tout, une femme peut subir une hystérectomie, ou un homme une vasectomie sans que ça n'ait d'impact sur leur état civil. En effet, le fait que nous ayons même un sexe “légal” (NdT : état civil) démontre que la société façonne largement notre compréhension du sexe. Ainsi, tout au long du livre, j'utiliserai le mot “sexe” principalement pour faire référence au physique d'une personne qui appartient au groupe des femmes ou des hommes, mais je l'utiliserai aussi parfois pour faire référence aux classes sociales et juridiques qui sont associées au sexe physique d'une personne.
Le mot “genre” est utilisé de bien des façons. Le plus souvent, il est utilisé de manière indissociable au “sexe” (c'est-à-dire pour décrire si une personne est physiquement, socialement et légalement un homme ou une femme). D'autres personnes utilisent le mot “genre” pour décrire l'identité de genre d'une personne (si elle s'identifie comme femme, homme, les deux ou aucun des deux), son expression de genre et son rôle genré (agit-elle de façon féminine, masculine, les deux ou aucun des deux), ou les privilèges, les suppositions, les attentes et les restrictions auxquelles elle est confrontée en raison du sexe que les autres perçoivent. Du fait de ces nombreux usages, j'utiliserai le mot “genre” au sens large pour désigner de nombreux aspects du sexe physique ou social d'une personne, les comportements liés à son sexe, le système de classe fondé sur le sexe dans lequel elle se situe, ou (dans la plupart des cas) une combinaison de ces éléments.
Maintenant que nous sommes au clair sur les significations de “sexe” et “genre”, nous pouvons commencer à parler du terme transgenre, qui est parfois l'un des mots les plus confus et mal compris de la langue anglaise. Si, à l'origine, le mot avait une définition plus étroite, depuis les années 1990, il est principalement utilisé comme un terme générique pour décrire toute personne qui défie les attentes et les hypothèses de la société concernant le fait d'être un homme ou une femme. Il inclut les personnes transsexuelles (qui vivent en tant que membres d'un sexe autre que celui qui leur a été assigné à la naissance), les personnes intersexes (qui sont nées avec une anatomie reproductive ou sexuelle qui ne rentre pas dans les définitions archétypiques de la femme ou de l'homme), et genderqueer (qui s'identifient en dehors de la binarité homme/femme), tout autant que les personnes dont l'expression de genre diffère de leur sexe perçu (ce qui inclut les travestis, les transformistes/acteurices drag, les femmes masculines, les hommes féminins, etc.). J'utiliserai parfois ce mot comme synonyme de variance de genre (Ndt : la diversité des possibilités de genre) pour décrire toute personne qui peut être considérée comme déviant des normes sociales de l'appartenance aux femmes ou aux hommes.
La grande portée de l'inclusion du mot “transgenre” a été conçue volontairement afin de répondre aux besoins des nombreuses minorités sexuelles et de genre qui étaient exclues des précédents mouvements féministes et gays. Dans le même temps, son étendue peut également être un problème puisqu'elle rend souvent floue ou efface le caractère distinctif de ses composantes. Par exemple, si les hommes travestis et les hommes transsexuels sont tous les deux des personnes transgenres identifiées comme hommes, ces groupes ne font pas face aux même problèmes en raison de leur différence de genre. De la même façon, les drag queens et les femmes transsexuelles ont des expériences et perspectives très différentes vis-à-vis du genre, malgré le fait qu'elles sont souvent confondues par la société.
Ainsi, la meilleure façon de réconcilier la nature nébuleuse de ce mot est de reconnaitre qu'il s'agit avant tout d'un terme politique, qui rassemble des classes disparates de personnes afin de lutter pour l'objectif commun de mettre fin aux discriminations fondées sur le sexe/la variance de genre. S'il est utile politiquement, le terme transgenre est trop vague pour impliquer des points communs entre les identités individuelles, les expériences de vie ou la compréhension du genre.
Un autre point souvent négligé dans les discussions sur la transidentité, c'est que de nombreux individus qui tombent sous le spectre transgenre choisissent de ne pas s'identifier à ce terme. Par exemple, de nombreuses personnes intersexe rejettent ce terme parce que les problèmes auxquels elles sont confrontées concernent le sexe physique et non le genre (par exemple, les procédures médicales non consensuelles de "normalisation" pendant la petite enfance ou l'enfance). Leurs problèmes sont très différents de ceux d'une grande partie de la communauté transgenre.[1] De la même façon, beaucoup de personnes transsexuelles refusent ce terme à cause de ses racines anti-transsexuelles ou parce qu'elles estiment que le mouvement transgenre privilégie ses identités, actions et les apparences qui “transgressent” visiblement les normes de genre.[2] Cette tendance rend invisible le fait que nombre d'entre nous luttent davantage avec le fait d'être des femmes ou des hommes physiquement qu'avec nos expressions de la féminité ou de la masculinité. Tout au long du livre, j'utiliserai le mot trans pour faire référence aux personnes qui (à des degrés variés) se débattent avec une compréhension ou une intuition inconsciente que quelque chose “ne va pas” avec le sexe qui leur a été assigné à la naissance et/ou qui ont le sentiment qu'elles auraient dû naitre ou souhaitent pouvoir être de l'autre sexe. (Il faut noter que certaines personnes utilisent le mot “trans” différemment, comme synonyme ou abréviation pour le mot transgenre). Pour de nombreuses personnes trans, le fait que leur apparence ou leur comportement sorte des normes de genre sociales est un problème bien réel, mais qui est souvent considéré comme secondaire par rapport à la dissonance cognitive qui découle du fait que leur sexe inconscient diffère de leur sexe physique. Cette dissonance de genre est généralement vécue comme une sorte de douleur ou de tristesse émotionnelle qui s'intensifie avec le temps. Elle peut même atteindre un point elle peut devenir débilitante (NdT : causer une infirmité).
De nombreuses stratégies sont mises en place par les personnes trans pour réduire cette dissonance de genre. La plus courante est sans doute de tenter de supprimer ou nier son sexe inconscient. D'autres peuvent s'autoriser à exprimer ce sexe inconscient de manière occasionnelle, par exemple à travers la pratique du travestissement ou du jeu de rôle. D'autres encore peuvent en venir à se considérer comme bigenres (un mélange de féminité et de masculinité et/ou d'appartenance aux femmes ou aux hommes), genderfluid (passant librement d'un genre à l'autre) ou genderqueer (s'identifiant en dehors de la binarité de genre homme/femme). Et celleux qui font le choix de vivre dans un sexe différent de leur assignation à la naissance sont généralement appelé·es transsexuel·les.
La question la plus méconnue en ce qui concerne la communauté transgenre, une source permanente de confusion et de discorde, réside dans le fait que la plupart des stratégies et identités vers lesquelles gravitent les personnes trans afin de soulager leur dissonance de genre est également partagée par des personnes qui ne ressentent aucun malaise par rapport à leur sexe physique et inconscient. Par exemple, certains hommes travestis passent le plus clair de leur vie à souhaiter être des femmes, tandis que d'autres voient le travestissement comme une expression du côté féminin de leur personnalité. Alors que certains artistes drag se considèrent avant tout comme des artistes ou aiment jouer et parodier les stéréotypes de genre, certaines personnes trans font du drag parce que ça leur donne l'opportunité d'exprimer certains aspects de leur sexe inconscient dans un cadre socialement accepté. Et si de nombreuses personnes trans s'identifient en tant que genderqueer parce que ça les aide à donner un sens à leurs propres expériences dans un monde où leur compréhension d'elleux-même diffère fortement de la manière dont elles sont perçues par la société, d'autres personnes s'identifient comme genderqueer parce que, sur un plan purement intellectuel, elles questionnent la validité du système binaire de genre.
Ainsi, non seulement les personnes transgenres n'ont pas les mêmes perspectives et expériences, mais les individus à l'intérieur de la même sous-catégorie transgenre (que ce soit le travestissement, le transformisme/drag, le genderqueer, etc.) ne sont pas conduits de la même façon à embrasser cette identité. Et si ce livre se concentre d'abord sur la transsexualité, et plus précisément sur les femmes trans (car c'est mon expérience et ma perspective), ce n'est pas parce que je crois que les personnes transgenres qui ne sont pas transsexuelles sont moins importantes ou légitimes. Leurs expressions de genre sont tout aussi légitimes que la mienne et les discriminations auxquelles iels font face sont tout aussi réelles. Il est également crucial pour nous de reconnaitre qu'il est tout aussi légitime pour une personne trans de décider de transitionner et vivre dans l'autre sexe que pour les personnes qui brouillent les frontières de genre et s'identifient en dehors de la binarité de genre. Il n'existe pas de façon unique d'être trans. Chacun·e d'entre nous doit trouver ce qui fonctionne le mieux et ce qui lui permet d'exprimer le mieux possible ce qu'iel est.
Lorsque nous parlons de transsexualité, il est souvent nécessaire de distinguer entre les personnes qui effectuent une transition du sexe homme à femme, que l'on appelle communément femmes trans, et les personnes qui effectuent une transition du sexe femme à homme, qui sont appelées hommes trans. Je préfère ces termes à d'autres parce qu'ils reconnaissent le genre vécu et identifié d'une personne trans (femme ou homme), tout en ajoutant l'adjectif “trans” comme moyen de décrire un aspect particulier de l'expérience de cette personne. Pour le dire autrement, “femme trans” et “homme trans” fonctionnent d'une manière similaire aux groupes de mots “femme catholique” ou “homme asiatique”. Puisque de nombreuses personnes trans choisissent de soulager leur dissonance de genre par d'autres moyens que la transition, j'utiliserai souvent les expressions spectre male-to-female (MtF/transféminin) et spectre female-to-male (FtM/transmasculin). Elles serviront à décrire toutes les personnes trans (indépendament de leur appartenance aux groupes genderqueer, transsexuels, travestis, etc.) qui font l'expérience d'une différence ou d'une plus grande complexité entre leur genre vécu et celui auquel elles ont été assignées à la naissance.
Les gens ont parfois tendance à rejeter ou délégitimer les identités de genre et les expériences vécus des personnes trans. Ils nous reléguent dans des catégories uniques, séparées de “femme” ou d' “homme”. Cette stratégie est souvent adoptée par des personnes non-trans qui veulent débattre à propos des personnes trans sans jamais remettre en question leurs propres suppositions et croyances sur l'appartenance aux groupes de femmes ou d'hommes. La prédominance de termes comme “she-males,” “he-shes,” et “femmes à pénis” pour parler des femmes trans rend ce phénomène évident. Parfois, les tentatives de faire des personnes trans un troisième sexe ou genre sont plus subtiles ou inconscientes, comme lorsque les personnes fusionnent l'expression “femme trans” en un seul mot, “femmetrans”, ou utilisent les adjectifs MtF ou FtM comme des noms (par exemple : “Julia Serano est un MTF.”). Je ne m'identifie pas en tant que “male-to-female”. Je m'identifie en tant que femme. Ces tentatives de reléguer les personnes trans à des catégories de “troisième sexe”, non seulement ne tiennent pas compte de l'identité de genre profondèment ressentie par la personne en question, mais ignorent également les expériences réelles que les personnes trans ont vécues en étant traitées comme des membres du sexe vers lequel elles ont effectué leur transition.
Lorsque l'on parle de la vie des personnes transsexuelles, il est important de trouver des mots qui décrivent avec précision leurs expériences genrées, tant dans le passé que dans le présent. De nombreuses personnes trans disent qu'elles se comprenaient comme femme ou homme pendant la majeure partie de leur vie, bien que ce ne soit pas le sexe qui leur ait été assigné à la naissance. Par conséquent, quand une personne trans effectue une transition, son sexe inconscient ou son identité de genre reste la même. C'est plutôt son sexe physique qui change (d'où le terme transsexuel). En ce qui concerne le sexe d'origine d'une personne trans, j'emploierai souvent l'expression un peu maladroite de sexe (ou de genre) qui lui a été assigné à la naissance, afin de souligner la nature non consensuelle de la façon dont nous sommes élevé·es, socialisé·es et traité·es par la société sur la base de notre sexe physique. Pour des raisons de commodité, je peux également faire référence à leur genre/sexe assigné ou (dans une moindre mesure) à leur sexe de naissance. Je peux également faire référence au sexe vers lequel une personne trans a effectué une transition en parlant de sexe préféré, sexe identifié (pour souligner le fait qu'il correspond à son identité de genre), ou son sexe vécu (pour souligner le fait qu'elle vit et fait l'expérience du monde en tant que membre de ce sexe).
Il est généralement admis qu'être transsexuel·le ou devenir transsexuel·le implique une sorte d' “opération de changement de sexe”. Or, ce n'est pas nécessairement le cas. Si certaines personnes transsexuelles subissent de nombreuses procédures médicales dans le cadre de leur transition, d'autres n'ont pas les moyens ou choisissent de ne pas subir de telles procédures. En effet, les tentatives de limiter le mot “transsexuel” aux seules personnes qui ont effectué une transition physique est non seulement classiste (en raison de la question de l'accessibilité financière), mais aussi objectivantes, puisqu'elles réduisent toute personne trans aux procédures médicales qui ont été effectuées sur son corps. Pour toutes ces raisons, j'utiliserai le mot transsexuel pour décrire toute personne qui vit actuellement, ou s'efforce de vivre, comme un membre de sexe différent à son sexe assigné à la naissance, indépendamment des procédures qu'elle a pu subir. En outre, étant donné qu'il y a de nombreuses façons pour une personne transsexuelle d'arriver à son sexe identifié, j'utiliserai le mot transition pour décrire le processus de changement vers le sexe vécu, plutôt qu'en référence à une procédure médicale spécifique.
La procédure médicale la plus commune pour les personnes transsexuelles est d'effectuer une thérapie de remplacement hormonale, qui implique la prise de testostérone pour les hommes trans ou la prise d'oestrogènes (et parfois de progestérone) pour les femmes trans.
Ce sont les mêmes hormones sexuelles que celles qui rentrent en jeu à la puberté pour tout le monde. Elles produisent nombre des mêmes changements corporels chez les personnes transsexuelles adultes que chez les adolescents : modification du teint de la peau, de la répartition des graisses et des muscles, la croissance des seins pour les femmes trans, et une voix plus grave ainsi qu'une pilosité faciale pour les hommes trans. Ces changements produits par les hormones sont souvent appelés des caractéristiques sexuelles secondaires (pour les distinguer des caractéristiques sexuelles dites primaires telles que les organes reproducteurs et génitaux). Ces caractéristiques dites secondaires sont les indices que nous utilisons le plus souvent lorsque nous classons les adultes entre femme et homme, ce qui explique que le traitement hormonal de substitution suffit souvent pour permettre aux personnes trans de vivre inaperçues dans leur sexe identifié.
Les hormones n'ont cependant pas d'effets identiques sur chaque individu.
Bien qu'il existe un certain nombre de chirurgies possibles pour une personne transsexuelle, celle qui semble le plus captiver l'imagination du public est la chirurgie de réassignation sexuelle. Celle-ci implique une reconstruction des organes génitaux pour mieux correspondre au sexe identifié. Certaines personnes trans refusent le terme de SRS et lui préfèrent des alternatives telles que chirurgie de réassignation génitale, chirurgie de confirmation de genre, ou chirurgie du bas (pour contraster avec la chirurgie du haut : le retrait ou l'augmentation mammaire). Personnellement, ce n'est pas tant le nom technique de l'opération qui me dérange que le fait qu'elle suscite tant d'attention dans les médias et auprès du grand public. Après tout, je ne suis pas cardiologue et je n'ai jamais souffert d'un problème cardiaque. Je ne ressens pas le besoin impérieux de connaitre tous les noms techniques ou d'entendre les comptes-rendus détaillés d'opérations cardiaques. Je n'ai pas non plus besoin de connaitre tous les noms spécifiques ainsi que les doses spécifiques d'une chimiothérapie pour me sentir touchée par l'histoire d'une personne qui a survécu à un cancer. C'est pourquoi je suis plutôt troublée par le fait que tant de personnes, qui ne sont ni des professionnels de santé ni trans elles-mêmes, souhaitent entendre tous les détails sordides qui regardent les transformations physiques transsexuelles. Ou encore qui estiment avoir le droit de nous interroger sur l'état de nos organes génitaux. Il est choquant que tant de personnes estiment qu'il est normal de qualifier publiquement les personnes transsexuelles de “pré-op” or “post-op”. Il serait pourtant clairement dégradant et avilissant de décrire régulièrement tous les garçons et les hommes comme étant “circoncis” ou “non circoncis”.
Si les détails spécifiques des procédures médicales liées à la transsexualité doivent être facilement accessibles aux personnes qui envisagent de changer de sexe, de telles informations ne sont ni pertinentes ni nécessaires pour comprendre les expériences et les perspectives des personnes trans. Après tout, si ma transition physique s'est déroulée principalement sur une période d'un an et demi, une petite fraction de ma vie, ce qui est resté constant et omniprésent (avant, pendant et après ma transition), c'est la résistance et les préjugés auxquels j'étais confrontée de la part de certaines personnes. Des personnes qui ne sont pas transgenres, des personnes qui sont irrationnellement mal à l'aise, dérangées par mon expression de genre et/ou mon identité de femme, et celles qui présument que leur genre identifié est plus naturel ou plus légitime que le mien. C'est pour cette raison que je crois qu'on ne peut pas pleinement comprendre la transsexualité sans faire l'examen et la critique des préjugés et des suppositions de la majorité non-transsexuelle. Ainsi, même si je parle des personnes transsexuelles tout au long du livre, je consacrerai également beaucoup de temps à l'examen des croyances et des attitudes communes aux personnes cissexuelles, c'est-à-dire aux personnes qui ont toujours connu un alignement entre leur sexe inconscient et leur sexe physique. De la même façon, les personnes qui ne sont pas transgenres peuvent être décrites comme cisgenres (mais j'utiliserai ce terme moins souvent, puisque ce livre se concentre sur les femmes transsexuelles plutôt que sur la population transgenre dans son ensemble).[3] Je préfère ces expressions, mais j'utilise à l'occasion les termes non-transsexuel et non-transgenre comme synonymes.
Certains pourraient considérer que tous les termes relatifs aux trans et au genre que j'ai introduits sont trop compliqués ou déroutants. Et d'autres, tout particulièrement celleux qui travaillent sur les champs des études queer et de genre, pourraient rejeter une grande partie de ce langage comme contribuant à un “discours inversé”. En me décrivant comme transsexuelle et en créant des termes spécifiques aux trans pour décrire mes expériences, je ne ferais que renforcer la même distinction entre transsexuels et cissexuels qui m'a marginalisé en premier lieu. Ma réponse à ces deux arguments est la même : je ne crois pas que les personnes transsexuelles et cissexuelles soient fondamentalement différentes les unes des autres. Mais les nombreuses façons dont nous sommes perçu·es et traité·es par les autres, et la manière dont ces différences impactent nos expériences physiques et sociales singulières, mène de nombreuses personnes transsexuelles à voir et comprendre le genre de façon très différente par rapport à leurs homologues cissexuels. Et si les personnes transsexuelles sont parfaitement famillières des perspectives cissexuelles du genre (puisqu'elles sont dominantes dans notre culture), la plupart des personnes cissexuelles n'ont aucune connaissance des perspectives trans. Si j'utilise uniquement les mots que les personnes cissexuelles connaissent pour décrire mes expériences du genre, ça aura le même impact qu'un musicien qui choisit uniquement des mots à l'attention de non-musiciens pour décrire sa musique. On peut le faire bien sûr, mais certains aspects cruciaux seraient perdus dans la traduction. De la même façon que les musicien·nes ne peuvent pas pleinement expliquer leur réaction à une chanson sans utiliser des concepts tels que “clé mineure” ou “signature temps”, des idées et des expressions spécifiquement trans apparaitront tout au long de ce livre. Celles-ci sont cruciales pour me permettre de mettre en ordre mes idées et expériences sur le genre. Afin d'avoir une discussion nuancée et éclairée sur mes expériences et perspectives en tant que femme trans, nous devons commencer par penser des expressions et des idées qui décrivent le plus parfaitement possible cette expérience.
Intersex Society of North America website: www.isna.org/faq/transgender. ↩︎
Le terme “transgenre” a été initialement inventé par Virginia Price pour dissocier les personnes trans qui, comme elle, vivaient à temps plein comme membres de leur sexe identifié sans jamais subir de chirurgie de réassignation sexuelle, des personnes transsexuelles, qu'elle aurait méprisé ; voir Brown, “20th Century Transgender History and Experience”, et Leslie Feinberg, Transgender Warriors: Making History from Joan of Arc to Dennis Rodman (Boston: Beacon Press, 1996), x. Pour en savoir plus sur les transsexuels qui trouvent problématique de s'organiser sous le terme “transgenre”, voir Namaste, Sex Change, Social Change, 12-33, 51-57, 86-126; Max Wolf Valerio, “‘Now That You’re a White Man’: Changing Sex in a Postmodern World—Being, Becoming, and Borders,” This Bridge We Call Home: Radical Visions for Transformation, Gloria Anzaldúa and Analouise Keating, eds. (New York: Routledge, 2002), 239-254. ↩︎
J'ai eu l'idée d'utiliser le terme “cissexuel” après la lecture d'un article de Emi Koyama dans son archive Interchange (www.eminism.org/interchange/2002/20020607-wmstl.html). Apparemment, le terme apparenté “cisgenre” a été utilisé pour la 1ère fois en 1995 par un homme transsexuel du nom de Carl Buijs. ↩︎