The Queers Aren’t Alright : Les conséquences du lesbianisme politique.

Traduction 11 mars 2021

By Zoedegenerate

Source originale :
https://degeneratediaries.home.blog/2021/01/13/the-queers-arent-alright-consequences-of-political-lesbianism/

Traducteur·trice : June Gabrielle

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I. Radfems

La théorie radicale féministe est une école de pensée ou d’analyse des structures de pouvoir oppressant le ‘sexe femelle’. Cette deuxième vague du féminisme qui a commencé au début des années 60 maintient généralement que les femmes (interchangeable avec ‘femelle’) sont une classe strictement biologique globalement oppressées par les hommes (interchangeables avec ‘mâles’), une autre classe strictement biologique. Elle postule également que ladite oppression est basée sur le sexe (aka les organes génitaux). Que cette oppression découle ou non du capitalisme - ce qui serait une vue plus matérialiste - ou d’un mal ‘mâle’ inné fut un point de débat. Maintenant nous avons les termes TERF et SWERF, signifiant respectivement Trans Exclusionary Radical Feminist et Sex Worker Exclusionary Radical Feminist; bien que ces deux opinions tendent à être main dans la main.

Dans les années 70, pendant le Mouvement de Libération des Femmes, circula cette nouvelle idée parmi les féministes radicales que le lesbianisme - peu importe ce que cela signifie dans le contexte - était la solution, et que l’hétérosexualité en tant qu’institution était le problème. Ce qui en résulta fut le lesbianisme politique, c’est à dire les femmes se distançant elles-mêmes de ceux qu’elles percevaient comme des hommes de toutes les façons possibles, souvent en engageant des relations de même sexe (ou en essayant) ou en choisissant de rester célibataire, dans une tentative de combattre l’institution hétérosexuelle. Cependant, les lesbiennes n’ont pas commencé à exister dans les années 70 et ce mouvement a grandement affecté l’identité lesbienne et ce même jusqu’à nos jours. Avant le lesbianisme politique, ‘lesbienne’ était une insulte pour toute personne non-homme intéressée par ou impliquée dans une relation avec une autre personne non-homme. Mais avec les femmes cis ostensiblement hétérosexuelles rentrant dans le mouvement et réclamant le lesbianisme comme un outil politique pour ce même mouvement, la définition de ce qu’était une lesbienne fut fortement réduite.

Avec le langage actuel, les féministes radicales disent souvent qu’elles veulent abolir le genre. Elles pensent que nous - les activistes trans - voulons effacer le sexe biologique en faveur du genre social, et créer un monde d’identité basée sur le choix. Elles s’auto-identifient à des ‘critiques du genre’ (gender critical), signifiant qu’elles - probablement par des moyens détournés - comprennent la violence inhérente des stéréotypes de genre forcés mais érigent les personnes trans comme agents du patriarcat plutôt que de voir la transidentité pour ce qu’elle est : une réaction naturelle à une société genrée de force. Il y a probablement des féministes radicales qui seraient d’accord avec ceci, mais combien iraient plus loin en reconnaissant que c’est la preuve de l’existence d’une communauté qui connait les traumatismes des stéréotypes de genre mieux que les autres ? Les personnes trans ne sont pas un monolithe, et nous avons fait de nombreuses observations à propos du genre qui se contredisent, parfois avec apaisement, parfois avec violences. Les féministes radicales critiquent la poésie que nous fabriquons avec le langage que l’on apprend, tout en clamant être en train de critiquer une idéologie, un agenda trans nébuleux. Pour une analyse plus nuancée du genre vs sexe, lire the Gender Accelerationist Manifesto. (traduction disponible sur le blog)

II. Discours

Cela fait quelques années depuis que [les célébrités LGBTI+ mainstream] ont inventé la ‘queerness’, et pour une fois, je leur suis reconnaissant·e. Nous avons parcouru un long chemin depuis le début du mouvement, lorsque [les politiciens] défendaient nos droits devant les parlements et faisaient passer [telle ou telle réforme qui améliorait notre vie], qui, vous le savez, étaient supprimées peu de temps après, car bien entendu on ne peut pas compter sur des réformistes pour obtenir les changements dont nous avons besoin et les maintenir. De nombreux termes parapluies pour les différents aspects de la ‘queerness’ ont été crées: le spectre ace; comprenant les aromantiques, asexuel·les et demisexuel·les, et d’autres identités similaires, ou le spectre trans; comprenant toute sorte d’hommes, de femmes, et l’immense variété d’identités au-delà.

Il est vrai qu’être radical·e isole. Il est également vrai qu’être queer ou trans isole. On a souvent l’impression d’être la victime de là où on se trouve - sa petite ville, son école et son lieu de travail comme autres lieux aliénants; et ils le sont bien souvent. Donc il va sans dire qu’avec internet est apparu plus d’opportunités pour les queers de communiquer. Et iels le firent, et jamais une telle chose n’avait été vue : la solidarité, le support, l’amour, le pouvoir que des personnes n’auraient jamais pu partager sans être connectées est incroyable.

De façon prévisible, je veux vous parler de l’autre face de cette épée à double tranchant, le Discours™. Le discours dans le contexte de la justice sociale, du féminisme et des identités LBGTI+ tend à se référer aux débats polarisants à qui on prête énormément d’attention en ligne et qui implique souvent celles et ceux qui veulent exclure et celles et ceux qui ne veulent pas. Pendant un temps, j’ai plus ou moins supposé que cela ferait sens de travailler sur ces cas un par un, de regarder chaque sujet individuellement et de me faire mon propre avis. Je peux maintenant voir de quelles façons ils s’entrecroisent, et je ne pense plus qu’il est intéressant de les prendre un par un. Il y a tellement de types de discours sur la justice sociale ou queer, que seul une partie d’entre eux sont passibles de s’appliquer à soi, donc les sélectionner et choisir en fonction des quand-dira-t-on de personnes qui ne sont pas forcément partie intégrante de la communauté n’est pas une bonne approche. Une grande partie des discours intracommunautaires est simplement cela - des discours intracommunautaires.

Un exemple de discours queer est le terme truscum, qui fait référence aux personnes trans qui croient qu’être dysphorique est une obligation pour la Vraie Transidentité. Les personnes cis qui sont d’accord avec les truscum ne sont pas des truscum, iels sont juste transphobes. La rhétorique truscum tourne autour des politiques de respectabilité et d’intégration, de la médicalisation de la transidentité, et pour apaiser les sentiments des personnes cis. Les truscum (ou transmeds comme beaucoup se nomment) ont tendance à épouser le binarisme de genre, en allant de la binarité standarde et de ses suppositions jusqu’à un déni complet de l’identité non-binaire.

Personnellement en tant que personne trans, je ne veux pas d’une existence médicalisée, sous le bistouri, coincée par la lentille du cis gaze, où l’on attend de moi que je sois reconnaissante. Je ne veux ni n’ai besoin de pseudoscience neuro sexiste me disant que j’ai un ‘cerveau de femme’. Les personnes cis qui mettent en avant des études sur la transidentité dans une tentative d’expliquer notre existence scientifiquement ne veulent pas admettre qu’une grande part ont été débunkées, telle celle expliquant qu’il y a un cerveau mâle et un cerveau femelle, et que les institutions scientifiques n’ont pas besoin de justifier nos existences. La science réelle nous supporte, oui, mais les institutions scientifiques construites sur des terres volées ont dans les veines leur néo-colonialisme et il est probablement impossible de séparer ces institutions telles que nous les connaissons aujourd’hui de leurs racines, l’impérialisme et le suprémacisme blanc. Homme et femme, ou cette idée européenne de l’homme et de la femme, a évolué au travers le temps pour convenir au status quo impérialiste. S’il vous plait, lisez le Gender Accelerationist Manifesto.

Si on regarde les personnes sur le spectre ace, les gens sont exclusionnistes également et diront que les personnes sur le spectre aromantique et asexuel ne peuvent pas se dire LGBTI+, ou même queer. En dehors du fait que les personnes sur le spectre ace sont réellement oppressées et marginalisées par le status quo allocishet, le A communément utilisé dans l’acronyme LGBTQIA ou d’autres similaires a toujours été là pour signifier la présence des personnes aces d’une façon ou d’une autre. Le status quo puni les individus aces pour déviance aux normes qu’il a imposé, de la même façon qu’il puni le reste des queers.

La plupart des discours sont similaires en terme d’inclusion et d’exclusion, et le discours lesbien n’est pas différent. Il y a l’argument concernant les lesbiennes non-binaires et notre légitimité en tant que lesbiennes, à pouvoir réclamer le terme ‘dyke’, et bien d’autres. L’argument si oui ou non les bi-lesbiennes et pan-lesbiennes ont le droit d’exister, si iels peuvent être butch ou femme. Les racines du lesbianisme politique se sont implantées dans le mot lesbienne bien avant que celui-ci ne puisse se développer en tant qu’identité distincte de façon saine, et presque tous les discours lesbiens peuvent être retracés jusqu’au mouvement du lesbianisme politique.

Le baeddellisme est une idéologie nommée d’après l’insulte en vieil anglais pour un homme efféminé, baeddel. Il exprime - dans un contexte de transidentité - de prioriser les personnes assignées mâle à la naissance (AMAB), en particulier les personnes intersexes (coercitivement assignée mâle à la naissance ou CAMAB), au-dessus des personnes assignées femelle à la naissance (AFAB & CAFAB). C’est essentiellement un mouvement séparatiste vague imitant le séparatisme lesbien. Peu importe ce que les baeddels déclarent sur la signification du baeddelisme, il continue à avoir un impact sur la communauté trans de la même façon que le séparatisme lesbien en a eu un sur le lesbianisme. A savoir, la continuelle déshumanisation des personnes AFAB au sein de certains cercles trans. Quand des personnes trans qui furent AFAB parlent de leurs expériences concernant la misogynie à leurs égards, elles sont souvent considérées comme transmisogynes par les tendances baeddel encore présentes, ou comme transphobes par des gens qui pensent que les bigots demandent comment vous vous identifiez avant de s’adresser à vous de façon violente.

Comme le séparatisme lesbien auparavant, le baeddelisme a une fois de plus démontré qu’il est dans l’intérêt du status quoi de nous maintenir séparé·es. Séparer et isoler les gens en fonction de leur genre assigné à la naissance (AGAB) est dangereux pour tout le monde, avec ou sans le langage trans inclusif que nous avons maintenant. Ni AFAB ni AMAB ne peuvent exister seul sans l’autre; les deux sont nécessaires pour les contextualiser. Il est nécessaire à la libération queer que nous ne soyons pas divisé·es. Toutes ces formes de discours queer sont similairement bénéfiques au statut quo vu qu’elles tendant à réduire la solidarité entre les personnes oppressées.

III. De l’exclusion à où ?

Le discours queer est un espace où l’on peut voir le prescriptivisme en action - l’attitude ou la croyance qu’il n’y a qu’une seule façon correcte d’utiliser le langage, dans notre cas, les labels et les insultes. Il y a tant de personnes qui promeuvent inconsciemment l’idée que les labels nous choisissent plutôt que l’inverse, même quand ce n’est pas toujours en accord avec leurs idées. Nous voyons potentiellement ça dans la façon dont les personnes en questionnements partagent leurs ressentis, leurs pensée, ou leurs expériences, et se demandent si cela les fait appartenir à telle ou telle identité. Cela montre que la supposition par défaut est souvent qu’il existe une sexualité et un genre inné qui sont plus important que l’autonomie d’un individu et son droit à s’auto-identifier.

Cela ne peut pas être le cas. L’homme et la femme, tels que nous les connaissons actuellement ont été formé par l’histoire colonialiste européenne qui leur a donnée forme, et il ne peut y avoir ni gène ni chromosome correspondant à une construction sociale. Donc à la place, nous devons rejeter, récupérer et transformer ce qui nous est imposé.

Regrouper tous les genres avec les traditions oppressives qui en découlent et s’étant répandues au travers des génocides et des conquêtes est un effacement de cultures déjà marginalisées et ne sert que la culture dominante. A la place, nous devons attaquer la binarité de genre européenne, en même temps que le suprématisme blanc, l’Etat, le capitalisme, la patriarcat et toute autre forme d’oppression systémique. Nous respectons les mots de la personne qui déclare appartenir elle- même à une identité parce-que ce sont ses mots qui le rendent réel. Nous acceptions des définitions infinies du même label, car aussitôt que l’on essaie d’introduire une définition unique et universelle d’une sexualité ou d’un genre, vous êtes, par défaut, en train d’exclure certaines parties de l’histoire de cette définition. Nous pouvons avoir différentes relations aux mêmes mots, c’est ce qui fait de nous des humains.

Lectures recommandées :

Alyson Escalante – Gender Nihilism: An Anti-Manifesto
https://libcom.org/library/gender-nihilism-anti-manifesto

Alyson Escalante – Beyond Negativity: What Comes After Gender Nihilism? https://medium.com/@alysonescalante/beyond-negativity-what-comes- after-gender-nihilism-bbd80a5fc05d

Kaspar the Friendly Geist – Gender Egoism – On Ownness and Identity
https://www.google.com/amp/s/spacegeist.wordpress.com/2018/03/14/ gender-egoism-on-ownness-and-identity/amp/

Eme Flores and Vikky Storm – The Gender Accelerationist Manifesto
https://libcom.org/library/gender-accelerationist-manifesto

Mots clés

June Gabriel

Anarchiste. Non-binaire. Queer. Féministe. Traducteur·rice à temps perdu.