Disposé en lettres provenant du jeu de société Scrabble: "Hi haters", salut les rageux.

Taxonomie des discours anti-trans

Traduction 20 févr. 2022

Source: https://jane-67706.medium.com/the-tribes-of-anti-trans-84d6b908005f

Autrice: Jane Fae

Traducteurice: MaddyKitty

Publié initialement: 08 août 2021

Note de traduction: un détail de l'article, qui servait de comparaison, me semblait étrange et j'ai été incapable de vérifier l'information. Certes celle-ci servait l'argumentation, mais je me permets de la transformer pour éviter de diffuser des informations non-vérifiées.

Une taxonomie est une tentative de décrire et de définir les contours de catégories du vivant. Ici les groupes constituant ce qu'on peut appeler “le mouvement anti-trans”.


Attribuer tous, ou même la plupart, des discours anti-trans aux “TERFs” n'a jamais été très exact. Mais aujourd'hui, avec l'agenda chrétien radical qui s'est présenté à visage découvert, c'est moins vrai que jamais. Dans le grand ordre des discours politiques, parler des radfems dans les discours anti-trans n'est pas pertinent parce qu'elles sont un élément infime de ceux-ci. [.]

C'est l'été (NdT: pas pendant la traduction). Il pleut. C'est un temps parfait pour prendre un peu de recul et faire un point (NdT: jeu de mots sur Kathlyn Stock et le stock, impossible à rendre en français). Car il est nécessaire de connaitre son ennemi. Donc, dans l'esprit de I-spy, une série apparemment sans fin qui encourage les enfants à identifier des objets rangés selon une catégorie arbitraire, je vous présente mon humble effort.

I-spy sur la nature ? I-spy sur les chiens ? Faites-vous plaisir ! Car aujourd'hui, en exclusivité, je vous présente en avant-première I-spy sur le Gender critical, dans lequel les individus et les théories complotistes sont classées en fonction de leur vision de la plus arbitraire des catégories arbitraires : le genre.

Les évangéliques anti-genre

Mussolini : "Vous saviez que j'ai fait arriver les trains à l'heure ?" - Mosley : "Non mais... dites-le moi encore et je jouerai le jeu"
Benito Mussolini et Oswald Mosley (1936): source inconnue, mais dans le domaine public dans son pays d'origine

De loin, le plus grand des blocs anti-trans provient de la droite religieuse. Il n'est guère surprenant que les mêmes personnes qui font campagne contre les droits des femmes et contre le mariage pour tous en aient après les trans. Ou que, derrière leurs “préoccupations légitimes”, se cache un programme qui n'aura de cesse que les personnes transgenres soient éliminées par la loi, interdites dans leur totalité parce que “contre-nature” et “corrupteur·ices de la jeunesse”.

Il y a de nombreuses sous-divisions de ce courant. En Espagne, des organisations telles que CitizenGo, d'inspiration catholique fondamentaliste, s'associent librement avec d'autres groupes, comme HazteOir et, à travers ces groupes, le bien plus répugnant El Yunque. Ce dernier, qui soutient les campagnes anti-LGBT dans l'ombre, tire ses origines des activités para-militaires d'extrême-droite qui ont émergé au Mexique en 1952.

CitizenGo est particulièrement actif au Royaume-Uni.

En Pologne, le flambeau de ce courant idéologique est porté par Ordo Iuris, qui s'est infiltré dans l’État polonais et a également été le catalyseur des pires mesures misogynes et anti-LGBT promulguées par le gouvernement polonais.

Depuis les États-Unis d'Amérique, le World Congress of Families est un acteur majeur qui prône un monde où la famille hétérosexuelle règne en maitre.

Sans oublier la Heritage Foundation, qui a financé un grand nombre de groupes/actions au Royaume-Uni et a servi de plateforme à la Ministre des Femmes et des Égalités, Liz Truss; l'Alliance Defending Freedom (ADF); et leurs compagnons de route du Front de Libération des Femmes (Women's Liberation Front, WoLF), prétendument féministes.

Quelle est leur ampleur ? Voici un extrait du rapport du Global Philanthropy Project en 2020:

“Le chiffre d'affaires global des organisations américaines associées au mouvement anti-genre au cours de la période de dix ans allant de 2008 à 2017 s'est élevé à 6,2 milliards de dollars américains et, au cours de cette même période, onze organisations américaines associées au mouvement anti-genre ont acheminé au moins un milliard de dollars dans des pays du monde entier.”

et:

“Entre 2013 et 2017, les mouvements LGBTI mondiaux ont reçu 1,2 milliards de dollars, quand le mouvement anti-genre en recevait 3,7 milliards.”

Ces mouvements sont caractérisés par deux traits. Premièrement, ils sont profondément idéologiques. Ils ont identifié la “théorie du genre” comme un infâme complot mené par des féministes radicales (menées par Judith Butler), des personnes gays et transgenres pour saper et détruire la famille. Ils y parviendront grâce aux droits des femmes, des gays et des trans. Une fois la famille détruite, la démocratie tombera et la voie sera ouverte au “communisme”.

Cela s'accompagne d'une bonne dose de “panique” gay/trans. Le sénateur italien de la Ligue du nord (ou la Ligue), Simone Pillon, en plus de promouvoir des politiques misogynes et homophobes, souscrit également à des théories assez fantaisistes autour d'une conspiration visant à rendre la population hétéro gay !!!

Deuxièmement, ces mouvements, bien financés et stratégiques, ont très clairement identifié les personnes trans comme le thème central par lequel ils pensent qu'ils pourront commencer à faire reculer les acquies sociaux des femmes et des personnes gays.

Les complotistes et les paniques morales

Si la première catégorie de groupes anti-trans était idéologiquement structurée, c'est loin d'être le cas de cette deuxième, animée en grande partie par des paniques morales et des théories du complot. Nombreux et idéologiquement éclectiques, ces groupes ne sont pas pour autant dénués d'idéologie.

Pour ce qui concerne spécialement les personnes trans, ils promeuvent leur propre version de la théorie du Grand remplacement: autrement dit “l'effacement des femmes”. La première théorie est l'affirmation des suprémacistes blancs selon lesquels il existerait un complot visant à l'effacement des chrétiens blancs par des musulmans noirs. La seconde — vous l'aurez deviné — est qu'il y a un complot similaire visant à remplacer et effacer les femmes.

C'est vrai : en infériorité numérique à 1 000 contre 1, une courageuse armée de femmes transgenres prend peu à peu le pouvoir.

Beaucoup de ceux qui sont “préoccupés‘ (ces gens-là sont toujours très préoccupés) par les personnes transgenres sont aussi des adeptes anti-vaxx (NdT: anti-vaccin) et — chuchotez tout bas ! — de l'antisémitisme. Comme pour QAnon, également très apprécié, la conspiration est à la fois addictive et un convoyeur vers la droite.

Ce type de groupe peut être trouvé en abondance au Royaume-Uni et aux États-Unis. Dans le premier cas, cependant, un certain nombre de facteurs clé ont amplifié son impact.

La montée en puissance du sentiment anti-trans au Royaume-Uni a commencé avec la tentative ratée de Theresa May de réformer le Gender Recognition Act en 2017. Cela a conduit à une foule de campagnes publiques autour de “préoccupations” et du “besoin de parler”. Chacune plus extrême que la précédente, beaucoup (mais pas toutes) n'étaient guère plus que des campagnes et des hashtags créés sur les réseaux sociaux dans le seul but de teinter leur haine d'un vernis bienveillant.

Cette situation a été alimentée par des organisations telles que “A Woman’s Place”, dont le vernis de respectabilité provenait de leurs liens avec les syndicats. Dirigées en apparence par des femmes, les recherches suggèrent aujourd'hui que nombre d'entre elles ont été financées — massivement — par des groupes anti-genre.

De multiples facteurs ont contribué à la croissance explosive de ce “mouvement”, notamment mumsnet, l'équivalent moderne de “Disgusted of Tunbridge Wells” (NdT: des anonymes qui interpellaient les médias pour outrage moral). Ce forum, sous couvert de “liberté d'expression”, est considéré comme ayant cautionné une transphobie rampante pendant de nombreuses années, tout en bloquant ou en bannissant toute personne qui osait répliquer.

En outre, un segment très particulier, sensationnaliste et sans scrupules de la presse britannique sous-tend cette situation.

Qu'est-ce que c'est ? Des médias sans scrupules surfant sur la crête d'une vague de panique morale ? Encore une fois. Sûrement pas !

On peut attribuer de multiples causes à cela. Une obsession irresponsable de la liberté d'expression. Une vengeance pour la raclée que leur a infligée la communauté trans et Trans Media Watch lors de l'enquête Leveson. Une concentration des médias dans la main de patrons de presse très à droite. Ou simplement la bonne vieille cupidité. Parce que les histoires sensationnelles d'hommes infiltrés dans les espaces féminins sont des appâts trop juteux pour les laisser passer.

Qu'est-ce que c'est ? Des médias sans scrupules surfant sur la crête d'une vague de panique morale ? Encore une fois. Sûrement pas !

Les guerriers de l'infotainment et les politiciens

En ce qui concerne les individus sans scrupule, nous ne devons pas ignorer le petit mais influent groupe des guerriers de la culture. Il s'agit notamment des commentateurs des médias, de Richard Littlejohn à Piers Morgan en passant par Sarah Vine au Royaume-Uni et Jesse Singal aux États-Unis. À l'instar de leurs patrons, ils ne comprennent que trop bien que les “‘questions’ trans” titillent les préoccupations de leur public, augmentent leur visibilité et rapportent des dividendes conséquents.

Ainsi que les politiciens, pour des raisons diverses. Certains, comme le susmentionné Simone Pillon, semblent réellement inquiets d'un complot LGBT visant à rendre le monde gay et trans. En Pologne aussi, il y a de vrais croyants et des cyniques, bien que les preuves semblent suggérer que c'est la religion et non la politique qui les y conduisent. Des mouvements politiques comme le parti polonais Droit et liberté (Prawo i Sprawiedliwość, PiS) ont suivi la ligne de Ordo Iuris, plutôt que de définir leur propre calendrier.

Salvini se sert également régulièrement du mouvement catholique pour marquer des points, bien que l'Italie soit officiellement un État laïque.

En Hongrie, le Fidesz, le parti actuellement au pouvoir, a commencé par être un parti populiste de centre-gauche (vraiment !). Ensuite, Orbán l'a fait évoluer sur sa droite, pour satisfaire davantage à un électorat traditionaliste. Est-il véritablement un croisé anti-genre ? Difficile à dire: plus son soutien a diminué, plus il s'est montré ouvertement vindicatif, en s'attaquant aux droits des femmes et des transgenres. Mais tout a commencé par une attaque en règle contre George Soros (une campagne d'affichage financée par l'État, rien que ça !).

Au Royaume-Uni, ça a commencé par un grondement: la stratégie du Spectator.

Cette stratégie est ensuite repris par un grand nombre d'hommes blancs âgés, et pas mal de femmes de la même classe et du même âge, qui n'aiment pas qu'on leur dise qu'ils sont racistes, ou qu'on sape l'histoire britannique. Ils ripostent donc en rejetant en bloc toute analyse structurelle. Le Free Speech Union de Toby Young en est un parfait exemple.

Au gouvernement, cette entreprise intègre également un projet de reprise en main des organismes publics, du EHRC aux universités qui deviennent trop “woke” à leur goût. C'est dans ce contexte que la ministre Liz Truss peut affirmer que le véritable groupe défavorisé de la société britannique est celui des hommes blancs prolétaires, et que les alliés du pouvoir en place qui rejettent toutes les allégations de racisme structurel, de sexisme, etc. sont installés.

Dans le même temps, des personnes comme Boris Johnson ont remarqué qu'il y avait des avantages à tirer de la pression médiatique autour des personnes queer. Des “dog whistles” (appels du pied), un coup de pouce et un sourire y suffisent. La récente sortie de Sajid Javid sur des violeurs déguisés en femmes trans infiltrant les services hospitaliers pour femmes. Ou l'appréciation sournoise de la députée Rosie Duffield pour les tweets dégueulasses.

Toutes ces personnes y croient-elles vraiment ? Qui sait ? Après tout, ce n'est que de la politique.

Des personnes comme Boris Johnson ont remarqué qu'il y avait des avantages à tirer de la pression médiatique autour des personnes queer. Des “dog whistles” (appels du pied), un coup de pouce et un sourire y suffisent. La récente sortie de Sajid Javid sur des violeurs déguisés en femmes trans infiltrant les services hospitaliers pour femmes. Ou l'appréciation sournoise de la députée Rosie Duffield pour les tweets dégueulasses.

Les menteurs, les GC et les TERFs:

Si vous lisez la presse grand public, vous pouvez avoir l'impression que toute cette agitation oppose les personnes trans aux femmes. Ou aux féministes.

Il s'agit cependant d'un mensonge éhonté, comme l'analyse précédente le montre clairement.

Attribuer l'actuelle levée de boucliers contre les personnes transgenres comme étant motivée ou créée par les seules “gender crits” ou les “radfems”, voire même par les féministes trans exclusives (TERF), revient à imputer la violence patriarcale aux seules femmes qui participent aux discours misogynes (NdT: comparaison modifiée).

[Paragraphe supprimé.]

Dans l'ordre des choses, l'affirmation selon laquelle les féministes — et particulièrement les “féministes radicales” — sont contre les personnes transgenres est une pure fantaisie.

Il existe un groupe de féministes radicales qui, dès le départ, se sont opposées aux personnes trans. Le mouvement a débuté avec Janice Raymond et son livre, The Transsexual Empire, publié en 1979; il a été soutenu par les féministes anti-pornographie qui affirment que le fait d'être trans n'est rien qu'un fétiche sexuel; et il s'est poursuivi depuis avec des personnes comme Sheila Jeffreys, Julie Bindel et Julia Long. Leur maison spirituelle est the Guardian, qui nourrit leur sentiment constant d'indignation et de victimisation.

Certaines de ces personnes, notamment celles qui n'aiment pas être considérées comme moins gentilles, se concentrent sur la “protection des femmes”. Mais c'est là l'hypocrisie ultime: la position des personnes qui préfèrent ne pas examiner de trop près les implications de leur propre position.

Ces personnes — les TERFs, les radfems, les gender critical — sont toujours avec nous d'une façon ou d'une autre et mènent depuis une sorte de guerre permanente contre l'existence des personnes trans, avec peu de succès. C'est peut-être Raymond qui a fait le plus de dégats, puisque son travail a contribué à exclure les personnes trans de l'assurance maladie pendant environ quatre décennies. Plus largement, leur principale fonction est de fournir une forme de respectabilité à une haine anti-trans plus large.

Une femme: "Quelqu'un a invité les gender criticals ?" - L'homme à son côté: "Non. Mais ont-ils vendu beaucoup d'invitations ?"
Adapté de Noces de Cana par Paolo Veronese (1562): domaine public

Autrement, elles ne sont qu'une aiguille dans une botte de foin.

Livrées à elles-mêmes, elles ne sont ni idéologiquement singulières ni une force cohérente. L'une des rares constantes qu'elles partagent est l'ampleur de la haine que se vouent les principales actrices. Rien n'a changé — à part, peut-être, le sérieux avec lequel ces gens sont pris par les médias.

Une coalition anti-trans

Alors, qui sont les anti-trans, vraiment ? Ce “mouvement” comprend clairement des femmes qui sont de véritables féministes — même radicales. Mais il comprend aussi un véritable assemblage hétéroclite d'acteurs, dont certains sont immondes au possible. Des apologistes norvégiens de Pol Pot. La Ligue de défense anglaise. Des avocats anti-avortement. Jennifer Bilek ! Et que diable fait l'Alliance LGB dans le cadre de ce projet ?

Site Hands Across the Aisle, liste de ses participants classés à gauche et à droite politiquement.
Capture d'écran prise sur le site de Hands Across the Aisle en 2017/8

L'aperçu le plus cohérent est peut-être fourni par le groupe d'extrême-droite Hands Across the Aisle qui, en 2018, a déclaré que des personnes/organisations de “gauche” comme Helen Lewis et Transgender Trend pouvaient les soutenir, aux côtés de torchons d'extrême-droite comme le Daily Signal et le Daily Caller.

Parce que la “menace” que représente la simple existence des personnes trans est si massive, si insidieuse, que seule une grande coalition d'opposants — comme la Russie et l'Allemagne au début de la seconde guerre mondiale — est la solution.

Il n'est donc pas étonnant que certaines des actuelles radfems aient tenté — le plus souvent sans succès — de se distancer de cette partie de la foule anti-trans. Bien que ce ne soit pas facile, puisqu'elles utilisent beaucoup des mêmes arguments. Elles aiment se considérer comme étant toujours du côté progressiste de l'histoire. Mais le féminisme n'a pas toujours été “de gauche”. En effet, une grande partie du mouvement britannique des suffragettes a évolué, dans les années 20 et 30, vers un soutien inconditionnel au fascisme.

En fin de compte, cela n'est guère surprenant lorsque votre mouvement tout entier est composé de mouvements mutuellement complémentaires. D'un côté, les femmes privilégiées de la classe moyenne qui cherchent désespérément à consolider leur propre privilège et à maintenir leur statut de victime. De l'autre, des fondamentalistes religieux heureux de considérer les femmes comme spéciales. Tant qu'elles restent dans le rang.

Quel bel assemblage !

Mots clés

MaddyKitty

Anarchiste. Femme non-binaire et vnr