Que considère-t-on comme de la violence ?

Traduction 10 mai 2022

Source: What Counts as Violence?

Auteurice: le collectif CrimethInc.

Traducteurice: MaddyKitty

Publié initialement: 23 janvier 2017


Ou pourquoi la droite peut maintenant nous tirer dessus.

Un militant antifasciste de longue date a été grièvement blessé dans la nuit de vendredi pendant la manifestation de l'agitateur fasciste Milo Yiannopoulos, au milieu d'une place bondée. Le tireur, qui s'est livré en plaidant la légitime défense, a été relâché par la police de l'université de Washington tôt samedi matin. D'une certaine manière, cela mérite à peine d'être signalé dans les journaux. Pendant ce temps, les médias locaux condamnent les manifestants violents pour avoir lancé des ballons remplis de peinture, “potentiellement mortels”. Ceci est notre nouvelle réalité.

Il est en quelque sorte banal et compréhensible qu'un manifestant soit abattu, alors qu'il est inadmissible que quiconque bloque l'entrée d'un rassemblement fasciste.

Cela devrait être extrêmement préoccupant pour toutes les personnes conscientes.

Imaginons, pour un moment, que la situation ait été inversée : imaginons qu'un partisan de Milo ait été tué, en situation de légitime défense ou pas. L'extrême-droite et les médias grand public seraient en émoi. Le militant antifasciste serait toujours en détention, accusé de meurtre. Comment savons-nous cela ? Parce que les antifascistes et les anarchistes sont régulièrement agressés par la police et détenus sous des conditions de caution scandaleuses. Des centaines de personnes qui ont manifesté lors de l'investiture (NdT : de Donald Trump) à Washington sont restées en prison pendant plus de 24 heures avant d'être libérées sous caution ; certaines risquent maintenant jusqu'à 10 ans de prison pour émeute. Les femmes sont régulièrement incarcérées pour s'être défendu contre des hommes violents. Des personnes racisées sont régulièrement détenues pendant des semaines, sans caution, pour ne pas avoir payé un ticket de bus ou d'autres charges mineures. Mais d'une manière ou d'une autre, un homme qui a tiré dans la foule, sur un campus qui interdit les armes à feu, est jugé suffisamment responsable et sûr pour être libéré sans charges ni caution. Lorsque nous sommes arrêté·es, nos noms et nos visages sont présentés dans les médias, accompagnés de commentaires et de descriptions dénigrantes. Nous sommes conscient·es de ce double-standard; il suffit de voir la différence de traitement entre la réponse passive à l'occupation du Refuge faunique national de Malheur par une milice privée, et les attaques violentes contre les militant·es à Standing Rock dans l’État du Dakota du Nord (États-Unis d'Amérique).

Il ne s'agit pas de se plaindre, ou de demander la protection de la police. Nous ne demandons pas de poursuite judiciaire ; les tribunaux ne nous serviront jamais, et la police ne nous protégera jamais. Ils protègent uniquement les riches, les privilégiés et les personnes issues de leur rang. C'est une pratique commune pour la police de défendre les défilés néo-nazi ; et pourtant, quand les fascistes pointent des armes sur nous, comme lors de la fusillade de l'université, ou à Minneapolis, ou à Sacramento, ils font rarement face aux conséquences de leurs actes. Nous ne pouvons pas compter sur la police, et nous ne voulons pas le faire. C'est une institution violente et raciste, qui hérite ses pratiques des slave patrols et des hommes de main anti-syndicalistes. Leur travail consiste à faire respecter la suprématie blanche, la propriété bourgeoise et l'ordre social patriarcal. Nous ne voulons pas de leur aide. La police a toujours travaillé avec les fascistes, dans tous les pays où le fascisme s'est installé. (NdT: j'ai raccourci cette phrase, pour éviter un propos redondant)

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https://www.nofi.media/2016/11/slave-patrols-a-police-americaine-histoire-dune-filiation/31043
Un article en français sur les "slave patrols", les patrouilles d'esclave.
Plus alarmant que le comportement de la police, c'est le degré de normalisation et d'acceptation de la violence armée par l'extrême droite.

Les réactionnaires crient à la légitime défense et à la défense du deuxième amendement, tandis que les médias acceptent leur récit, cherchant plutôt à criminaliser des victimes comme Trayvon Martin. La gauche institutionnelle dénonce la culture des armes à feu, mais s'y est également habituée. La violence d'extrême-droite n'est plus surprenante, elle fait partie du paysage quotidien. Pendant ce temps, les récits médiatiques présentent les actions et manifestations antifascistes comme exceptionnelles, extrêmes et violentes. Cela fait partie d'une guerre permanente du langage et de la vérité ; l'extrême-droite cherche à dissimuler sa rhétorique violente et raciste sous des plaidoyers pour la liberté d'expression, tout en refusant d'assumer la responsabilité pour les violences qui en découlent. Nous avons pu le constater avec Trump qui soutenait les attaques contre des manifestant·es pendant sa campagne, et nous le constatons encore aujourd'hui. Chaque fois qu'une attaque de l'extrême-droite n'est pas dénoncée et reste impunie, on confère une légitimité à la violence d'extrême-droite et on encourage d'autres attaques. Le pic de crimes haineux qui a suivi l'élection de Trump le montre bien. Lorsque les violences racistes, misogynes et transphobes deviennent courantes, elles se répandent et gagnent en légitimité. C'est de cette façon que le fascisme fonctionne ; c'est de cette façon qu'il se propage. En 1932, cinq miliciens nazis ont battu à mort un jeune communiste devant sa mère. Hitler a applaudi leurs actions, puis les a relâché juste après sa prise de pouvoir. Leur “passion nationale” excusait leurs crimes.

Ça n'a pas à devenir la nouvelle normalité. Nous ne devons pas céder sur ce front, ou sur tout autre front. Les groupes médiatiques qui refusent de rappeler Trump à ses mensonges, qui présentent les partisans de Milo Yiannapoulis comme des victimes effrayées, ou qui font la publicité de la déclaration absurde de Yiannapoulis après la fusillade selon laquelle “si nous arrêtons, nous laissons les protestataires gagner”, sont complices de l'octroi d'une légitimité à la violence politique fasciste.

Ce pays est sur la voie d'un avenir très sombre et très violent. Les protestations et les rassemblements sont importants, mais les photos d'autosatisfaction et les épingles à nourrice ne suffisent pas à endiguer la marée. Ceux d'entre nous qui se souviennent des manifestations anti-guerre de 2003, qui étaient alors les plus grandes manifestations mondiales de l'histoire, devraient se rappeler que notre nombre n'était pas suffisant.

Nous devons faire que nos luttes soient plus réelles que symboliques, afin de stopper l'organisation des fascistes et s'assurer que tout le monde entend, encore et encore, que ce n'est pas normal, que ce n'est pas acceptable.

Nous vivons des temps d'exception ; nous devons nous assurer que ces exceptions ne se normalisent pas. Mais il ne sujet pas simplement de revenir à ce qui était "normal" avant Trump, ça n'est pas suffisant. Ce pays a toujours été raciste ; il a été fondé sur des génocides, sur l'esclavage et le colonialisme. Notre tâche, comme Walter Benjamin l'a décrite pendant une autre période de lutte antifasciste, est de créer un réel état d'exception, pour remettre en question toutes nos vérités et nos comportements. Si nous le faisons,

notre position dans la lutte contre le fascisme s'améliorera.
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Passage entier de Walter Benjamin, Sur le concept d'histoire (éditions Payot) :
« C’est la tradition des opprimés qui nous l’enseigne : « l’état d’exception » dans lequel nous vivons est en vérité la règle. Il nous faut aboutir à un concept d’Histoire qui reflète cette règle ; nous comprendrons alors que notre mission consiste à mettre en place ce véritable état d’exception ; et de ce fait, notre position dans la lutte contre le fascisme s’améliorera. La chance de cet état d’exception tient notamment au fait que les adversaires le considèrent, au nom du progrès, comme une norme historique. »

Pour ce faire, pour réellement combattre le fascisme, il faut une vraie lutte antifasciste, et cela passe aussi par le support aux personnes qui ont été blessées par l'ennemi.

L’Amérique n'a jamais été grande ; faisons en sorte que l'Amérique n'existe plus, et remplaçons-la par une communauté humaine vraiment libre, libre de la suprématie blanche, libre de l'exploitation capitaliste et libre de la violence patriarcale.
Des personnes cagoulées se trouvent devant un mur où sont projetées "injury to one is injury to all"
Illustration provenant de l'article original

Mots clés

MaddyKitty

Anarchiste. Femme non-binaire et vnr