Les personnes trans prennent leur santé mentale en main
Source: https://www.them.us/story/trans-people-mental-health-own-hands-microdosing-psychedelics-psychiatry
Auteurice: Paris Emmanuel Moskowitz
Traducteurice: Al Loustoni
Note de l’auteurice: L'article ci-dessous relate les expériences de personnes qui consomment des drogues et ont recours à des pratiques médicales sans l'aide de professionnel-le-s de la santé. Vous devriez consulter un médecin avant de commencer ou d'arrêter un médicament. Ignorer les conseils d'un médecin peut être dangereux, et l'article ci-dessous n'est pas destiné à faire la promotion de ce genre de pratiques.
Note de lae traducteurice: le corps médical peut également se montrer très peu compréhensif face à la volonté d'arrêter des traitements médicaux psychoactifs, même si ceux-ci sont invalidants et/ou à fort risque addictif. L’arrêt d’un traitement de ce genre n’est pas anodin et expose à des risques de syndrome de sevrage qui peuvent être mortels. Si vous ne pouvez pas avoir accès à un suivi médical satisfaisant dans votre démarche, renseignez vous un maximum sur les rares études dédiées au sujet, lisez les ressources développées par des ex usager-e-s. Les thérapies dont parle l’article peuvent sembler miraculeuses, mais aucun traitement ne l’est pour absolument tout le monde, dans toutes les circonstances. Il s’agit de témoignages et il est important de les prendre en tant que tel.
En 2017, face à l’angoisse causée par une expérience de mort imminente et à la prise de conscience soudaine que j'étais trans, j'ai fait une dépression nerveuse.
La vie est devenue confuse, sombre, presque invivable. Immédiatement, je suis allé-e chez un psychiatre en espérant trouver un médicament ou une combinaison de médicaments qui résoudrait, ou du moins atténuerait, ma douleur, sans me rendre compte que ce serait le début d'un voyage de plusieurs années vers l’automédication.
On m’a d'abord mis-e sous Wellbutrin, un inhibiteur de la recapture de la dopamine et de la noradrénaline (IRDN); quand ça n’a pas marché, on m’a prescrit un autre antidépresseur appelé Lexapro, un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS); quand ça n’a pas marché, encore un autre antidépresseur appelé Effexor, un inhibiteur de la recapture de la sérotonine-noradrénaline (IRSNa, IRSN). L’Effexor marchait… d’une certaine façon.
Quand j’étais sous Effexor j’étais moins anxieuxse, j’avais moins cette impression de catastrophe imminente. Mais je me sentais aussi étrangèr-e à moi-même, comme s'il y avait une plaque de verre embué entre mes yeux et le monde. La vie semblait irréelle.
Lors d'une promenade en bateau dans les marais à travers les côtes de Louisiane, l'un des plus beaux endroits que j'aie jamais visités, j'ai réalisé que cela ne me faisait ni chaud ni froid et que je n’arrivais pas à voir la beauté de ce qui m’entourait. Je me sentais surtout engourdi-e, ce qui me terrifiait.
J'ai décidé d'arrêter ce médicament. Mais à chaque fois que le dosage diminuait, en réduisant de moitié les pilules, puis en les dissolvant dans de l'eau et en mesurant la dose de chaque matin, une certaine anxiété revenait, jusqu'à ce que ce soit pire qu'avant. Les antidépresseurs peuvent provoquer de graves symptômes de sevrage, qui restent extrêmement peu étudiés. Mais j'étais catégorique sur le fait que je ne voulais plus d’Effexor. Je voulais me sentir humain-e à nouveau.
Pendant deux ans, j’ai vécu avec ce compromis: je ne me sentais plus moi-même, mais aussi plus anxieuxse, déprimé-e, dissocié-e, je me sentais détaché-e du monde et constamment en danger. J’ai vu un autre psychiatre. Elle m’a prescrit plus d’antidépresseur. J’ai refusé.
Je pensais que je resterais dans cet état d’agitation jusqu’à la fin de ma vie. Jusqu’à ce que je découvre la kétamine, les champi et enfin — et surtout — le LSD.
J'avais d'abord essayé chaque drogue à des fins récréatives, mais il m'a fallu beaucoup de temps pour me sentir assez à l'aise pour ne plus seulement les considérer comme des drogues, mais aussi comme des médicaments. La kétamine m’a permis de dissocier sans danger, de voir mes problème “à la troisième personne” et de les résoudre sans trop de douleur. Les champignons m'ont permis de trouver le pardon en moi. Et le L… eh bien… je ne sais pas ce qu’il a fait, mais ça a marché.
Je prenais le LSD en micro-doses (1/20 à 1/10 de buvard) trois jours de suite, puis j'arrêterais pendant quatre jours et je répéterais le processus pendant environ deux mois. Cette routine a, sans exagérer, soigné ma dépression. Je ne ressentais presque rien pendant mes prises, mais dans les jours qui suivaient, je ressentais un sentiment de liberté et de sécurité dans mon corps que je n'avais pas ressenti depuis des années.
Mais j’étais en colère. En colère qu’on ne m’ai pas parlé de ces pratiques plus tôt. En colère que mes médecins m'aient donné les mêmes traitements inefficaces encore et encore.
Ma colère n'a fait que s'intensifier lorsque j'ai réalisé que je n'étais pas lae seul-e. Sur les forums et dans la vraie vie, les gens se sont plaint à maintes reprises d'avoir reçu les mauvais médicaments et d'avoir eu besoin de sortir de tous les systèmes destinés à les aider pour pouvoir comprendre leur traitement psy. Les gens, mais surtout les personnes trans, ont dû prendre en main les soins liés à leur santé, en faisant leurs propres recherches, en trouvant des informations auprès de leurs propres communautés et en expérimentant avec leur propre corps pour trouver ce qui les rendaient heureuxses. D'innombrables ami-e-s trans avaient fait de même avec les hormones et les chirurgies – en expérimentant ce qui fonctionnait et en allant à l'encontre de ce que les médecins leur disaient de faire.
Ce fut une lutte pour trouver ce niveau de bonheur, mais maintenant je connais le processus pour résoudre tous les problèmes futurs auxquels je pourrais être confronté, qu'ils soient liés au genre ou à la santé mentale : je devrai trouver les réponses par moi-même.
“C'est comme si les psychiatres essayaient de lancer plusieurs fléchettes sur une cible jusqu'à en toucher le centre, sauf que j'en suis dépourvu.”
Il n'existe pas de statistiques sur le nombre de personnes trans qui font de l’automédication, mais si vous connaissez des personnes trans, vous savez que c'est une expérience courante. Les délais d'attente interminables dans les cabinets médicaux et les cliniques, la difficulté d'accès à des hormones pour une transition, l'humiliation d'avoir à convaincre les autorités médicales que vous êtes bien trans - tous ces facteurs poussent de nombreuses personnes trans à avoir recours à des médications en dehors du système. Faute de mieux, nous nous tournons vers nos communautés, vers internet et vers nos ami-e-s.
Mais ce n'est que récemment que j'ai fait le lien entre ma volonté de m'auto-médicamenter concernant ma santé mentale et le fait d’avoir transitionné. Je me suis rendu-e compte qu'une fois que j'avais pris mon propre corps en main - poussant pour des soins, des médicaments, des chirurgies dont on m'avait répété à maintes reprises que je n'avais pas besoin ou que je ne devais pas avoir - j’avais déjà commencé à assumer la responsabilité de ma propre santé mentale et à trouver mes propres solutions.
Parmi la douzaine de personnes trans que j'ai interrogées, toutes m'ont dit que leur transidentité faisait partie intégrante de leur santé mentale, mais qu’iels rejetaient les institutions psychiatriques et thérapeutiques.
En 2016, Adam (le prénom a été changé), un homme trans qui vit maintenant à Brooklyn, vivait avec sa mère. Il se questionnait sur son genre et était constamment anxieux et déprimé. Il a essayé la thérapie cognitivo-comportementale et un psychiatre lui a suggéré des antidépresseurs. Comme moi, Adam en a essayé plusieurs, dont aucun n'a fonctionné et dont certains ont aggravé ses problèmes de santé mentale. Finalement, on lui a diagnostiqué un trouble de la personnalité borderline, qu'il pensait ne pas avoir, mais qui est une catégorie fourre-tout pour les personnes trans qui expérimentent leur genre. (Les personnes trans reçoivent des diagnostics de troubles de la personnalité à un rythme effréné.)
Adam a arrêté les antidépresseurs par lui-même, contre l’avis des médecins. Deux ans plus tard, il a de nouveau demandé de l'aide alors qu’il vivait une crise et a été mis sous Abilify (un antipsychotique). Ça l'a fait dormir toute la journée. Il a arrêté sur le champ.
Il se méfiait des professionnel-le-s de santé et ne souhaitait pas avoir de nouveau affaire à elleux. A la place, il a décidé de construire son propre chemin thérapeutique. Il ne voulait pas être catégorisé dans un diagnostic et a découvert que l'automédication avec de l'herbe et des champignons l'aidait dans sa transition et dans la vie en général. C'est pendant un trip aux champi qu'Adam a fait son coming-out trans.
Adam m’a dit: « Je suis excentrique et sensible, et je préfère me voir à travers ce prisme plutôt que trop pathologiser ma vie. C'est comme si les psychiatres essayaient de lancer plusieurs fléchettes sur une cible jusqu'à en toucher le centre, sauf que j'en suis dépourvu. »
Pour Adam, sa santé mentale et sa transition sont inextricablement liées.
Il m’explique que « Si je dois être malheureux dans la vie, autant le faire – je dois transitionner. Et c'est comme ça que j'ai commencé à changer de perspective : je devrais peut-être mieux manger, faire plus d'exercice et prendre les médicaments qui me font me sentir mieux dans la vie et m'aident à guérir. »
Noelia est une femme trans dans la vingtaine. Elle a eu une mauvaise avec le ISRS qu’on lui a prescrit. Elle a découvert qu'elle pouvait trouver plus facilement ses médicaments par elle-même, à la fois pour sa transition et sa santé mentale. Un microdosage de LSD l’a aidé pour sa dépression.
Elle m’explique qu’ « une partie du vécu trans, c’est de devoir comprendre les choses par des voies non-traditionnelles et par le biais de la communauté. On construit cette connaissance ensemble, collectivement et elle peut être très utile. Sans cela, je n'aurais probablement pas été à l'aise pour chercher des médicaments par moi-même, sans l'aide d'un médecin. »
« Mon espoir est que [la médecine] puisse rattraper son retard », a déclaré le Docteur Zelfand. « Il n'est pas nécessaire de choisir l'une ou l'autre option – traditionnelle ou psychédélique. Les deux devraient être soutenues. »
Au-delà de la question de trouver l'efficacité des médicaments prescrits limitée, de nombreuses personnes trans que j'ai interrogées ont déclaré qu'elles préféraient l'automédication simplement parce que cela n'impliquait pas la bureaucratie des voies traditionnelles ni d'être défini par des troubles qui peuvent sembler contraignants. Un homme trans m'a dit qu'il préférait acheter de l'Adderall par le biais d'ami-e-s plutôt que d'aller dans une clinique parce qu'il détestait le parcours diagnostique du TDAH.
« Si je veux me sentir en possession de mes moyens, être plus précis et plus attentif au travail, l'Adderall fonctionne », a-t-il déclaré. « Je pense que c’est moins une maladie que le résultat de l'exigence du monde du travail. » De plus en plus de personnes recherchent de l’aide en santé mentale en dehors de la psychiatrie traditionnelle, parfois seules, et parfois avec des professionnel-le-s de la santé qui soignent en utilisant des drogues.
Erica Zelfand est une doctoresse en naturopathie qui prescrit parfois des médicaments traditionnels et guide ses patients à travers des expériences psychédéliques. Elle met en avant que la profession doit accepter les dernières connaissances scientifiques qui suggèrent que des drogues peuvent être extrêmement utiles contre la dépression et une myriade d'autres troubles mentaux ou problèmes de santé. Si la profession et sa politique ne bougent pas, nous pouvons nous attendre à ce que les gens recherchent eux-mêmes des traitements alternatifs.« J'espère que nous pourrons rattraper notre retard », a déclaré Zelfand. « Il n'est pas nécessaire de choisir l'une ou l'autre option – traditionnelle ou psychédélique. Les deux devraient être soutenues. »
Zelfand estime que si les gens, en particulier ceux issus des communautés marginalisées, commencent à pratiquer l’automédication, c'est au moins en partie parce qu'entamer une longue thérapie avec le soutien de professionnel-le-s de la santé est souvent inaccessible et coûteux. Les psychologues et psychiatres ne prennent souvent pas les mutuelles ou complémentaires santé. Les deux seules options sont souvent de consulter un médecin généraliste et de prendre un antidépresseur qui peut ou non aider, ou de le découvrir par nous-même.
« C'est un luxe que beaucoup d'états-unien-ne-s ne peuvent pas se permettre », a expliqué Zelfand. « Trouver un-e thérapeute prêt-e à travailler au-delà de la psychiatrie traditionnelle et payer mensuellement pour ce service est une tâche beaucoup plus difficile pour beaucoup que dépenser de l'argent dans un gros sac de champignons qui durera quelques mois pour le microdosage. »
Quand on en vient à calculer « le ratio coûts-bénéfices », a ajouté Zelfand, « vous n'avez pas besoin de sortir la calculatrice ».
Eddie Jacobs, éthologue psychédélique à l’université d’Oxford estime que cela fait sens que ces personnes, particulièrement quand iels sont issu-e-s de communautés minorisées, finissent par chercher elleux-même un traitement à base de psychédéliques.
Il explique, « Je trouve qu’il est très difficile de condamner les personnes qui recherchent ces traitements, car personne n’en vient à soigner sa santé mentale avec ce genre de médicaments sur un coup de tête, mais parce que d'autres choses n'ont pas fonctionné. Les gens prennent de la drogue pour deux raisons, soit pour se sentir bien, soit pour arrêter de se sentir mal. Il semble ridicule de criminaliser l'une ou l'autre de ces motivations. »
Bien que Jacobs et Zelfand soutiennent qu'il existe des raisons matérielles pour lesquelles les gens prennent des psychédéliques pour améliorer leur santé mentale sans l'aide du corps médical, iels ont toustes deux convenu qu'un soutien professionnel quelconque serait idéal – les drogues sont toujours des drogues et le cerveau humain est sensible. Dans les cultures où l'usage psychédélique était prédominant, il y avait des rituels et des experts qui aidaient à guider les communautés à travers leurs expériences psychédéliques. Mais à cause des barrières et du coût, nous sommes souvent laissés à nous-mêmes pour déterminer ce qui fonctionne le mieux pour nous.
« Il y a toujours eu un substrat culturel spécifique où des aînés dans la communauté savent quand il est temps de prendre telle molécule psychoactive », a déclaré Jacobs. « Et je pense que trouver à quoi cela doit ressembler en Occident va être un défi, car pour le moment, les médecins de la psychiatrie traditionnelle se bousculent pour être les seuls détenteurs de ce savoir. » Si la plupart des personnes que j'ai interrogées n'étaient pas contre la pratique de la psychiatrie en théorie, toutes ont déclaré que leur expérience de la consommation de drogues choisie avait eu un impact plus important sur leur vie que les médications et thérapies traditionnelles.
Alessandra (le prénom a été changé), une femme trans trentenaire originaire de New York m’explique: « j’ai été dépressive et je suis sûre que je le serais encore. Mais quand cela se produira, il est certain que j'aurais recours au microdosage, je vais toujours d'abord chercher des solutions par moi-même. Cela fait définitivement partie des outils à ma disposition maintenant. Et c'est inestimable.
C'est aussi l'attitude avec laquelle j'aborde la médecine maintenant : chaque fois que je pense à reprendre un traitement psychiatrique, chaque fois que je pense à changer mon traitement hormonal, je demande d'abord à mes ami-e-s, en particulier à des ami-e-s trans. Ensuite, je recherche sur Internet. Ensuite, je vais chez un médecin. L'institution médicale ne m'est utile que dans la mesure où elle détient les clés de l'armoire à pharmacie à laquelle j'ai besoin d'accéder.