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La trajectoire d'une théorie du complot anti-LGBTIA

Traduction 19 juil. 2021

Source: https://transsafety.network/posts/alba-whrc-conspiracy/

Autrice: Mallory Moore

Traducteurice: MaddyKitty


[CW antisémitisme/pédocriminalité]

A la fin du mois de mars 2021, la Women's Human Rights Campaign[1] (WHRC, campagne pour les droits humains des femmes) publiait un pdf impliquant l'ILGA[2] (association internationale lesbienne, gay, bisexuelle, trans et intersexe) dans une campagne de légalisation de l'exploitation sexuelle des enfants. En moins de deux semaines, cette affirmation a été répétée et transformée en une fausse accusation d'homophobie portant sur les associations LGBTIA écossaises, accusées de faire pression pour descendre l'âge du consentement à 10 ans, propos tenu lors d'une conférence pour le nouveau parti Alba[3] en Écosse (parti nationaliste dirigé par l'ancien premier ministre d'Écosse Alex Salmond). Trans Safety Network a suivi cette campagne, de sa publication initiale à sa popularisation en tant que plateforme politique.

La revendication initiale

Le 29 mars, la WHRC publiait une déclaration par le biais du site internet d'Anna Kerr[4] (leur contact en Australie), intitulée “le féminisme a été coopté pour soutenir un agenda permettant d'abaisser l'âge du consentement” (NdT: original “Feminism has been co-opted to support an agenda to lower the age of consent”). La base de cette allégation repose sur un ensemble de propositions douteusement interprétées provenant d'un document intitulé Déclaration féministe[5], rédigé par le Women’s Rights Caucus, une coalition de plus de deux cents associations pour les droits des femmes et l'égalité des genres. Ce document a été lu lors d'une séance à l'ONU de la Commission de la condition de la femme [6] (CSW) en septembre dernier, pour marquer le vingt-cinquième anniversaire de la commission et pour faire monter la pression en faveur de mesures plus radicales pour mettre fin à l'oppression genrée.

Alors que l'ILGA n'est ni la seule, ni l'une des premières organisations rédactrices de la déclaration[7], la WHRC a fait des déclarations inquiétantes qui se concentrent exclusivement à dépeindre l'ILGA, la plus grande coalition d'organisations LGBTIA au monde, ainsi que ses affiliés, comme sympathisant ou supportant l'exploitation sexuelle des enfants. La WHRC a souligné des affirmations historiques selon lesquelles l'ILGA était associée à des groupes de défense de pédophiles malgré le fait qu'elle a explicitement pris position contre l'exploitation sexuelle des enfants depuis 1990 et a expulsé les groupes de défense des pédophiles qui l'avaient rejoint avant de mettre en œuvre un processus de sélection plus rigoureux peu de temps après[8].

Pour citer la déclaration de l'ILGA sur ce sujet (qui a été publiée des années plus tôt) :

“Bref, l'ILGA ne soutient pas la pédophilie, et ne l'a jamais fait.”

Les accusations de la WHRC sont également liées à un article de Jennifer Bilek, publié sur le site Web catholique et conservateur First Things[9] pour soutenir l'implication de plans machiavéliques liés au lobby LGBTIA. Bilek a acquis sa notoriété de longue date en soutenant que de riches juifs se cachaient derrière une conspiration mondiale transhumaniste se servant des droits LGBTIA et plus spécifiquement des droits des personnes trans pour détruire la nature. Son travail a été largement et favorablement cité par des mouvances nazies, notamment dans un livre néo-nazi, qui retraçerait les origines "juives" d'un "Transgender Industrial Complex"[10], livre qui a été publié lors du TDOR[11] de l'année dernière (NdT: TDOR 2020).

L'affirmation du titre dans le document est justifiée à l'aide des sections 14.a et 14.g de la Déclaration féministe. Nous l'énumérons intégralement ci-dessous avec les sections supprimées mises en exergue pour démontrer la mauvaise foi manifeste cachant le contexte qui a un impact matériel sur le sens des mots :

14. Respecter le droit de tout individu à exercer son autonomie sur sa propre vie, incluant sa sexualité, son identité et son corps, ses désirs et plaisirs libérés de toute discrimination, coercition et violence, et réaliser pleinement les droits sexuels et reproductifs, assurer l'autonomie, l'intégrité et la souveraineté corporelle, en prenant les mesures suivantes:

a. Éliminer toute loi et politique qui punit ou criminalise les relations homosexuelles, l'affirmation de genre, l'avortement, la non-divulgation et l'exposition à la transmission du VIH, ou qui limitent l'exercice de l'autonomie corporelle, y compris les lois limitant la capacité juridique des adolescents, des personnes handicapées ou d'autres groupes à donner leur consentement aux services sexuels ou de santé sexuelle et reproductive ou aux lois autorisant l'avortement, la stérilisation ou l'utilisation de contraceptifs non consentis;

g. Mettre fin à la criminalisation et à la stigmatisation de la sexualité adolescente et assurer ainsi que promouvoir une approche positive des sexualités des enfants et des adolescents qui permette, reconnaisse et respecte leur capacité à prendre des décisions en ce qui concerne leur autonomie corporelle, leur plaisir et les libertés fondamentales;

Déclaration féministe, Women's Rights Caucus

Quelques observations:

  1. La clause fondamentale de l'article 14 est une affirmation claire et sans ambiguïté de l'importance de l'autonomie corporelle et de l'absence de coercition ou de violence. Cette autonomie est clairement violée lorsque des personnes en position d'autorité (comme des adultes sur un mineur) tentent d'avoir des relations sexuelles avec eux. L'omettre a clairement une incidence sur les clauses suivantes.
  2. La clause 14.a vise très clairement à éliminer la criminalisation et la punition des jeunes pour s'être livrés à des activités sexuelles (ce qui a été et continue d'être le cas pour de nombreux jeunes dans les pays où les systèmes juridiques criminalisent ou proposent une légalisation discriminatoire sur les relations homosexuelles).
  3. La clause 14.g vise très clairement à affirmer le droit des jeunes à un environnement positif et favorable en ce qui concerne le développement sexuel et l'accès à du matériel d'éducation sexuelle approprié afin de les aider à prendre des décisions éclairées en matière sexuelle et d'autonomie corporelle à mesure qu'ils grandissent.

Il n'est possible de mal interpréter ces déclarations qu'à travers l'évacuation téméraire entreprise par la WHRC.

Une des motivations possibles de la WHRC pour viser précisément l'ILGA de cette façon (indiqué par le fait qu'elles y font référence explicitement dans leur document de communiqué de presse) est que l'ILGA a soutenu les réformes juridiques internationales pour reconnaître le sexe sur la base de l'autodéclaration d'une personne (familièrement connue sous le nom de « Auto-détermination"). La WHRC a été formée en grande partie comme une campagne anti-"Self-ID", avec une déclaration qui appelle à l'élimination de la reconnaissance du genre trans et reprend une partie de la Convention sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), expurgée de tout élément de langage qui pourrait soutenir les revendications des droits civils trans.

Le communiqué de presse de la WHRC comprenait également une liste d'organisations LGBTIA australiennes ciblées comme affiliées à l'ILGA, permettant aux lecteurs de faire pression sur ces groupes pour qu'ils se désaffilient de l'ILGA et les stigmatisent.

Modèle de diffusion

Le communiqué de presse de la WHRC a été publié à 3h36 le 29 mars par ses antennes d'Australie et de Nouvelle-Zélande[12], et immédiatement diffusé via les réseaux sociaux Gender Critical. À la mi-journée, heure du Royaume-Uni, il est passé sur Twitter via les pages Facebook et Twitter populaires GCs « Women's Voices Matter », avec l'affirmation supplémentaire que ce prétendu plaidoyer pédophile a été soutenu par les principaux syndicats au Royaume-Uni (qui sont partisans membres de l'ILGA), appelant leurs abonné·es à rejoindre les signataires de la Déclaration des femmes de la WHRC. Le même jour, il a ensuite été partagé par de nombreux autres groupes régionaux de la WHRC. Sans suggérer de liens directs entre ces groupes et individus, une chronologie sélectionnée de personnalités importantes au sein ou à côté des réseaux sociaux anti-trans montre le rythme auquel il s'est diffusé à l'échelle mondiale :

  • ForWomen.Scot (7h29)[13]
  • Conservatives for Women (12h25)[14]
  • Wild Woman Writing Club (13h23)[15]
  • Irish Women’s Lobby (15h35)[16]
  • Jane Clare Jones (16h12)[17]
  • “Biological Women’s Hour” (17h45), un compte lié à Kellie-Jay Keen.[18]
  • Ann Sinnott (18h25) - une co-fondatrice de la LGB Alliance[19]
  • Safe Schools Alliance (18h48)[20]
  • Signalé par Helena Morrisey après un message reçu de la Safe Schools Alliance UK (19h21)[21]

A 22h11, heure du royaume-uni (UTC+1), le communiqué a atteint mumsnet[22], et son titre est devenu Unite Unions and Many Other LGBT Organisations Lobby Government to Lower the Age of Consent. La grande majorité des cas que nous avons pu trouver de cette histoire médiatique se trouvaient au Royaume-Uni, en dépit du fait qu'elle a été publiée par un groupe basé en Australie. Cela donne du poids au mythe populaire de « TERF Island » – le Royaume-Uni comme base de la transphobie internationalisée.

Le lendemain, l'ancien scénariste de comédie Graham Linehan (qui a récemment été appelé à témoigner devant la Chambre des Lords sur la liberté d'expression)[23] reprenait ces affirmations[24].

Au cours des jours suivants, le communiqué s'est propagé davantage sur le Twitter « gender critical » et sur Internet plus largement, et probablement sur de nombreux canaux moins publics, recueillant des allégations et davantage d'accusations contre les organisations LGBTIA et de justice sociale dans un processus de panique morale homophobe et transphobe.

Le 6 avril, une semaine plus tard, il a de nouveau été publié sur le média catholique irlandais d'extrême droite Gript.ie[25], avec pour titre "Autoriser des enfants de 10 ans à consentir à des relations sexuelles - ONG LGBT", répétant les affirmations du communiqué tout en énumérant un certain nombre d'organisations LGBTIA irlandaises affiliées à l'ILGA, utilisant la définition de l'Organisation mondiale de la santé de l'adolescent « 10-19 ans » pour justifier l'affirmation selon laquelle la réduction de l'âge du consentement à 10 ans était un objectif de l'ILGA.

L'impact

Nous ne spéculerons pas sur les motivations de la WHRC car ça n'en vaut pas la peine. Nous pouvons néanmoins examiner l'impact et la fonction de campagne médiatique que cette panique morale a eu en traversant les réseaux sociaux. À l'aide d'outils de recherche accessibles au public sur Google Search, Facebook et Twitter, nous avons recherché des références au lien pdf du communiqué, y compris des tweets de citation, etc. TSN a observé qu'il y a eu un modèle répété à plusieurs reprises, permis par un réseau de médias sociaux hautement connecté, anti-trans féministe, transnational et multilingue, et alimenté par une volonté de regarder au-delà des détails manquants :

  1. Autoriser un narratif homophobe: le communiqué de presse original donne l'exemple, ignorant les plus de 200 autres organisations qui ont été initialement impliquées dans la rédaction et la cosignature de cette déclaration. En examinant les fils de discussion et les conversations où les utilisateurs ont extrait des captures d'écran de la Déclaration féministe, Trans Safety Network a observé un certain nombre de cas où des influenceurs GCs ont lu juste assez de la déclaration féministe pour confirmer que les citations organisées dans le communiqué de presse étaient étayées par certains passages de la déclaration citée. Cependant, TSN n'a pu trouver aucun questionnement de la part de ceux qui partagent les affirmations concernant l'accent mis sur l'ILGA en particulier parmi les nombreuses organisations signataires de cette déclaration.
  2. Fournir un modèle de localisation : en incluant une liste d'organisations australiennes locales et un lien vers la liste des affiliés de l'ILGA, la WHRC montre à nouveau l'exemple avec un modèle répété à l'échelle internationale par les supporters locaux du monde entier, de l'Irlande au Brésil[26], en recherchant les associations LGBTIA affiliées à l'ILGA et de la même manière, dénonçant, stigmatisant et mobilisant les attaques sur des médias sociaux contre des groupes de défense des droits des LGBTIA.
  3. Construire une dynamique permettant de sortir des espaces féministes anti-trans : Les affirmations faites ici sont vraiment extraordinaires et il est peu probable qu'elles soient répétées sérieusement, même par les organes médiatiques traditionnels les plus conservateurs. Cependant, les médias alternatifs dont le modèle commercial dépend de la construction d'un lectorat sur des informations « brutes et non-filtrées » hautement engageantes et que les médias grand public ne reprendront pas, sont plus réceptifs à ce genre d'information sensationnaliste et servent de lieu à une réception plus large parmi les principaux adeptes de la WHRC.

En fin de compte, ces affirmations ont fini par être reprises depuis la scène de la nouvelle conférence des femmes du Alba party, hier, par l'ancienne patronne de l'association caritative et candidate du Alba party à la députation, Margaret Lynch[27], comme l'ont rapporté plusieurs personnes présentes.

Plusieurs témoins rapportant les allégations selon lesquelles des groupes LGBTIA écossais promeuvent la légalisation des abus sexuels sur enfants à la suite de la « théorie queer »

Par le biais de cette conférence (et de l'agitation substantielle provoquée en ligne parmi les personnes qui suivaient ceux qui tweetaient en direct ces événements), cette théorie du complot est également sortie de la sphère féministe transphobe britannique dans la couverture du blog nationaliste écossais controversé « Wings over Scotland », et a conduit à un une grande quantité de comptes sur les réseaux sociaux en colère ciblant Stonewall Scotland, qui ont été contraints de faire une déclaration publique réfutant les affirmations :

Aujourd'hui, une candidate au parlement écossais a déclaré que nous menions une campagne pour abaisser l'âge du consentement. C'est catégoriquement faux. De telles affirmations sont dangereuses et irresponsables et nous exhortons ceux qui font ou partagent ces affirmations à cesser.

— Stonewall Scotland (@StonewallScot), 10 avr. 2021

L'article de Wings Over Scotland a suivi le modèle que nous avons décrit ci-dessus, en négligeant le contexte manquant des citations, en ciblant les groupes LGBTIA écossais et en ajoutant l'élément de l'OMS ciblant l'adolescence de « 10 - 19 ans ». L'article fait ensuite une énumération une d'histoires de scandales pédophiles en Écosse impliquant des homosexuels qui avaient des liens avec des organisations LGBTIA écossaises et en désignant un député gay du parti SNP concurrent du Alba Party, uniquement sur la base de son implication dans des organisations écossaises de défense des droits des LGBTIA, probablement pour le salir et l'associer à ce scandale fallacieux.


  1. https://www.womensdeclaration.com/fr/ ↩︎

  2. https://fr.wikipedia.org/wiki/ILGA ↩︎

  3. https://fr.wikipedia.org/wiki/AlbaParty ↩︎

  4. Internet Archive: Media Release on CSW and ILGA (archived 2021-03-29) ↩︎

  5. https://iwhc.org/wp-content/uploads/2020/03/Beijing-25-Feminist-declaration.pdf ↩︎

  6. https://www.unwomen.org/fr/csw ↩︎

  7. ILGA World: Women's Rights Caucus issues Feminist Declaration marking 25th anniversary of the Beijing Declaration and Platform for Action ↩︎

  8. ILGA World: ILGA and the ECOSOC Status controversy ↩︎

  9. Archived: First Things: The Billionaires Behind the LGBT Movement by Jennifer Bilek, published 2020-01-21 ↩︎

  10. https://transsafety.network/posts/gcs-and-the-right/ ↩︎

  11. https://fr.wikipedia.org/wiki/Journée_du_souvenir_trans ↩︎

  12. Screenshot: WHRC Australia and New Zealand - Media Release ↩︎

  13. https://archive.ph/7nV5n ↩︎

  14. https://archive.is/ny8Qe ↩︎

  15. https://archive.ph/A7JZf - Ce club a récemment envoyé une lettre ouverte attaquant une autrice trans en lice pour un prix d'écriture. ↩︎

  16. https://archive.md/HLnZc ↩︎

  17. Capture d'écran: Jane Clare Jones, tweet supprimé - à l'origine dispo à cette url: https://twitter.com/janeclarejones/status/1376568032496091139. Jane Clare Jones est une philosophe "gender critical" influente dont le travail de recherche Political Erasure of Sex a été financé par Women’s Place UK et l'université d'Oxford University par le biais de Selina Todd, reprenant les affirmations de Jennifer Bilek à propos des financiers présents "derrière" le mouvement trans, mais sans la citer. Jane Clare Jones avait l'habitude de tweeter avec Bilek et a montré une familiarité avec le travail de Bilek deux ans avant la publication de Political Erasure of Sex, qui montre un chevauchement considérable des thèmes et des théories autour des prétendus motifs sinistres de "l'idéologie transgenre". ↩︎

  18. https://archive.is/y6DZL - Kellie-Jay Keen a été bannie de twitter après de nombreux propos anti-trans, incluant parmi d'autres choses l'appel à la stérilisation des hommes trans qui choisissent d'être parents. ↩︎

  19. https://archive.md/4HWes ↩︎

  20. https://archive.ph/kpok3 ↩︎

  21. https://archive.is/apY56 ↩︎

  22. Archived: Mumsnet - Unite Unions and Many Other LGBT Organisations Lobby Government to Lower the Age of Consent ↩︎

  23. Pink News: Graham Linehan accused of using House of Lords as ‘court of appeal’ to overturn his Twitter ban ↩︎

  24. Archived: Graham Linehan/Substack: A piece of the PIE, Was lowering the age of consent always the endgame? ↩︎

  25. Archived: Gript.IE - “Allow children as young as 10 to consent to sex – LGBT NGO” ↩︎

  26. Et peut-être plus loin - nos compétences en recherche ne s'étendent pas plus loin jusqu'à présent en termes de divisions linguistiques. ↩︎

  27. The Herald: Citizens Advice Scotland fires chief executive Margaret Lynch after probe into her expenses and use of charity credit card ↩︎

Mots clés

MaddyKitty

Anarchiste et femqueer