Photo d'un placard

Je suis une Femme Trans. Je suis au placard. Je ne fais pas de Coming Out.

Traduction 20 juil. 2021

Source : https://medium.com/@jencoates/i-am-a-transwoman-i-am-in-the-closet-i-am-not-coming-out-4c2dd1907e42#.t7vcumhga

Autrice : Jennifer Coates

Traducteurices : Al Loustoni et Maddy

Edit: au moment où l'article est paru, Eddie Izzard se considérait comme transvestite (pas vraiment de bonne traduction à cette identité) mais dans une interview de 2019, elle se définit genderfluid avec des pronoms il/elle. En 2020 elle annonce utiliser uniquement le pronom elle (ou her en anglais).


NOTE: Wow, j’ai écrit cet article en secret et de façon anonyme sans avoir l’intention que quelqu’un d’autre le lise. C’était un moyen pour moi d’évacuer la frustration sans encourir de risque. Je ne l'ai pas tweeté; je ne l'ai ni posté ni partagé. Quelqu'un l'a trouvé et l'a diffusé et c'est ok, mais ce que vous lisez est simplement un extrait de journal intime.

Si vous êtes une femme trans (ou que vous soupçonnez que vous pouvez l’être) et au placard, NE PRENEZ PAS mes actes comme modèle – ils me sont personnels. Rencontrez d’autres femmes trans, discutez et imprégnez-vous de leur expériences. Transitionner aide beaucoup, beaucoup de personnes, vivre caché-e peut être bien plus dommageable. Voyez ce récit comme un des nombreux narratifs existants.

Je parlerais à travers la porte du placard !

Ressentiments à propos de “la seule vraie femme trans est une femme trans out”

Voici quelques fragments de l’histoire. Je n’y dévoile pas tout, mais c’est plus d’intimité que je n’aurais jamais voulu en sacrifier.

J’ai six ans

J’ai fait un rêve où j’étais une fille, mon cœur s’emballe, j’ai mal au ventre. Je n’ai pas mal à cause du dégoût, j’ai mal à cause de la honte. Ce n’est pas la première fois que je fais ce rêve, bien que ce soit l'un de mes premiers souvenirs. Ce que je ressens (bien que je n'aurais accès à la métaphore que des années plus tard), c'est comme si, via un adaptateur HDMI malveillant, j'avais accidentellement projeté mon historique de navigation le plus intime devant une salle de classe. J’ai l’impression que d'une manière ou d'une autre mes secrets ont été dévoilés — comme si la nuit dernière, tout le monde avait regardé mon rêve dans son sommeil. Sauf que j’ai envie de refaire ce rêve. J’ai six ans et je crois en Dieu, alors je lui demande en prières de rêver à nouveau, ce qui, bien sûr, arrive.

Corrélation et causalité se rencontrent. Vous n’êtes pas marrants, vous deux.

J’ai sept ans

A l’école, on a lu un livre qui parle d’un garçon qui devient une fille. Mon cœur bat à tout rompre et j'ai l'impression que tout le monde me regarde. Bien sûr, ce n’est pas le cas. De retour à la maison, je regarde la couverture, un garçon qui regarde dans un miroir et y voit une fille, je pleure.

J'entends le chant abominable de Cricket qui me dit que si je le souhaite assez fort, tous mes vœux se réaliseront (NdT: dans le film Pinocchio, Jiminy Cricket est la représentation de la conscience du personnage). Presque chaque nuit, je me glisse hors du lit et regarde par la fenêtre, priant chaque étoile que je peux voir, on ne sait jamais. Dans une forme de pensée magique, je me dis que si je le demande à haute voix mille fois, je me réveillerais avec les cheveux longs dans un joli pyjama avec un nom différent — et peut-être des taches de rousseur. Pour moi, mille est un nombre si démesuré que les instances cosmiques – qui écoutent la nuit les souhaits, les murmures désespérés – ne pouvaient pas me rater. Si seulement j’avais été une fille, me dis-je encore et encore (ce qui montre une maîtrise franchement impressionnante du subjonctif passé). Bientôt, je le chante sur l'air de « The Farmer in the Dell ». J’en ris, j'ai l'impression que je suis deux assise éveillée dans mon lit – moi en pyjama de baseball à revers et moi en chemise de nuit bleue, celle que je convoite ressemble à celle portée par Wendy Darling.

Je suis consciente que la chanson de Jiminy Cricket n'est pas dans le film Peter Pan. Ne soyez pas pédant-e ; j’ai sept ans.

J’ai huit ans

Les personnes que je préfère sont (et resteront toute ma vie) des filles – mes professeures, les amies de ma mère, mes camarades de classe. Je n’aime pas jouer avec les garçons. Les garçons sont généralement bêtes et ont des crottes de nez. Un annulaire morne effectue un examen de mon nez pour en déduire mon genre. Quand je joue seule à des jeux sur ordinateur, je choisis des personnages féminins. Quand ça n’a pas l’air risqué, j'utilise un pseudo féminin. j’aime bien "Kimberly", parce que Kimberly est le Power Ranger rose (NdT: dans la licence Powers Rangers, Kimberly est le Power Ranger rose dans la série Power Rangers: Mighty Morphin).

Quand je demande à dormir chez mes amies, on me dit que je n'ai pas le droit. Les garçons n’ont pas le droit. La mère de mon amie Caitie se dispute à ce sujet au téléphone avec ma mère. Je me rends compte que ma mère n'est pas de mon côté.

Plus tard, ma mère me dit que la mère de Caitie est divorcée, a un tatouage et dort sur un matelas à eau, le rapport ne me semble pas clair. Je pense que la mère de Caitie est cool.

J’ai neuf ans

J’aime tout ce que ma sœur aime, mais je ne l’admets pas. Je sais qu’elle et ses amies se moqueraient de moi. Je sais que mes parents me puniraient et me corrigeraient. J'apprends les règles et notamment que les garçons qui aiment les trucs de filles ont un gros problème. J'apprends que les adultes réagissent de la même manière à mon intérêt pour le maquillage qu'à mon intérêt pour les allumettes et les briquets.

Comme si, peut-être, en étant ce que je suis, je pouvais brûler quelque chose de très important pour eux. Quelque chose qui rend leur vie plus confortable et plus facile.

Je suis jalouse des vêtements de ma sœur. Un jour, seule à la maison après l'école, je me faufile dans sa chambre et enfile son costume d'Halloween de la Fée Clochette. Je glisse les bretelles élastiques sur mes épaules, puis les collants le long de mes jambes. Je rentre dedans. Mon cœur cogne comme si, piégée sous une couche de glace, je tambourinais contre la surface. Comment quelque chose peut-il être si merveilleux et si misérable à la fois ? Je n'ai pas l'impression qu'un poids a été levé — j'ai l'impression d'en avoir ajouté un autre. Je cours dans ma chambre et cache le costume sous mon matelas. Plus tard, je le ramène dans la chambre de ma sœur.

Ce n'est pas la dernière fois que je fais ça. Je n’ai jamais arrêté.

J’ai dix ans

Je regarde la télé tous les jours après l’école. J’aime les séries fantastique et de science-fiction. Dans ces émissions, des méchants peuvent changer de corps ou de forme. Il y a des machines qui permettent d’échanger le cerveau des gens. Même dans les émissions les plus réalistes, il existe des scénarios loufoques comme Freaky Friday où des frères et sœurs échangent leurs corps et passent une journée à apprendre à quel point la vie de l'autre est difficile. J'ai du mal à comprendre pourquoi le garçon ne se met pas à genoux pour remercier Dieu pour son changement de corps.

Spoiler: il s’avèrent que leurs vies sont tout aussi difficiles pour différentes raisons ! Ce qui est bien confortable et rassurant pour les scénaristes qui ont presque dû envisager le chaos du patriarcat et l’existence d’inégalités, le réalisme au lieu de la magie, la cohérence et la résolution narrative.

J’ai onze ans

Je regarde Maury Povich sur la télé de la chambre d'hôtel. Une rangée de femmes magnifiques arrive sur scène et on nous demande de deviner lesquelles sont « vraies » et lesquelles sont « transsexuelles ». Je ne connais pas ces mots. Je ne comprends même pas tout à fait ce que « gay » veut dire, mais je fais semblant. Je me doute que « transsexuel » est lié à « gay », mais ça ne me dérange pas. Au lieu de cela, alors que la machine à café de l'hôtel gargouille un rot âcre, je sens que je me remplis d'espoir. Combien ça coûte de s'asseoir sur une chaise et d’appuyer sur le bouton qui transforme ? Est-ce que ça fait mal ? Je m’en fiche. Quelque soit la douleur, ça en vaudra le coup.

Affiche du film "it's a boy/girl thing": "L'HERBE EST TOUJOURS PLUS VERTE", crie le scénariste alors qu'il se jette dans son lit et prend son carnet d'idées.



J’ai douze ans

Je regarde une cassette VHS en cours de SVT; c’est un prof remplaçant qui nous la montre après l’avoir choisie dans une pile. C’est un documentaire sur le corps humain des années quatre-vingt-dix. Il parle de personnes appelées transexuelles et ressort le discours binariste et facile à digérer de “nés dans le mauvais corps” qui restera populaire pendant encore une autre décennie. Les personnes dans le documentaire ne sont pas les belles femmes hawaïennes souriantes de Maury Povich. Elles sont fatiguées. Vieilles. Du Middlewest. Le documentaire explique ce qu’est une vaginoplastie. Le présentateur utilise des expressions comme « le chirurgien tente » et « dilatateur » et « sauver ». Comme « hormones » et « ostéoporose ». J’ai peur des aiguilles; j’ai peur des pilules; j’ai peur des scalpels; j’ai peur des hôpitaux. Le présentateur parle d'un "long chemin vers le rétablissement". Je me rends compte qu'il n'y a ni chaise ni interrupteur. Je me rends aussi compte que je ne comprends pas complètement la douleur. Les épouses fatiguées, nées maris dans le Midwest, ont laissé pousser leurs cheveux et portent des robes. Elles ont l'air heureuses.

Pour le restant de ma vie, je peux rester au maximum deux jours sans y penser. Jusque tard dans la nuit, je lis des histoires à propos de filles fortes et aventureuses pour ne pas avoir à penser à quoi ressemble mon corps sous les couvertures.

J’ai treize ans

Internet est arrivé et j'ai appris avec un certain soulagement qu'il existe, du moins pour le moment, une maladie appelée Gender Identity Disorder. Je ne sais pas encore qu’au cours de la prochaine décennie il y aura de lourds débats pour imposer un meilleur terme — ni qu'ils se produiront sur cet Internet même, où je vais juste pour imprimer des photos de filles pour lesquelles mes parents supposent, commodément, que j'ai le béguin.

Je crée un faux compte sur AOL Instant Messenger et dis à mes amis d'école que je suis ma propre petite amie, Jennifer, qui habite quelques villes plus loin. J'utilise ce pseudo plus que le mien. Jennifer fait tout ce que je fais et tout ce que je n’ai pas le droit de faire.

Je développe un trouble du comportement alimentaire.

J’ai quatorze ans

Quand j’aide mon père à construire des choses, il me dit que je suis forte. J'ai l'impression de gagner et de perdre quelque chose en même temps.

J’ai quinze ans

Je déménage sur la côte est, dans un État qui est, et qui n’est à la fois pas le Sud. Je fréquente un internat pour garçons grâce à une bourse. Je déteste l’idée de devoir passer tout mon temps avec les autres garçons. Les garçons sont immatures. Les garçons sont hypersexuels. Les garçons sont violents.

Je me douche en pleine nuit, quand les douches communes sont vides. Je me fais bizuter plus d’une fois à cause de ça. On tire sur mon pénis. Le doigt d'un joueur de football se faufile entre mes fesses crispées pendant qu'il me demande si je suis gay et si c'est pour ça que j'ai peur de prendre une douche avec tout le monde. Ils ne sont pas de mon côté.

J’ai seize ans

Certains d’entre eux me ressemblent. Je rencontre des garçons qui aiment lire ce que j'aime lire. Je rencontre des garçons qui ont aussi de terribles secrets. Je rencontre des garçons qui sont d'accord avec moi pour dire que c'est terrible d'être un garçon, même s'ils ne semblent pas le penser de la même manière que moi. Nous ne sommes pas fiers d’être des garçons, mais on s’amuse bien ensemble. On jette des pierres dans les étangs, on a des disputes adolescentes sur le voyage dans le temps. On vole des préservatifs au dépanneur. On s’est parfois battu. On regarde Fight Club et on se bat en portant des couches de chaussettes sur nos mains, tels des gants de boxe. Puis on se frotte le ventre — comme les joueurs de football américain. On se faufile dans la chambre de l'autre, tard dans la nuit, pour raconter des histoires. On télécharge un peu les épisodes de Backyardigans (NdT: en français Les Mélodilous, des animaux anthropomorphiques) sur LimeWire, mais on finit par sincèrement aimer ça et on finit par programmer des visionnements hebdomadaires. On ment à propos de nos expériences sexuelles, mais on écoute avec enthousiasme les mensonges des uns et des autres comme s'ils pouvaient contenir des traces de vérité, comme des veines de quartz sexy. Certains garçons sont hétéro et d’autres sont gay — j’en embrasse certains. Je me rends compte que je n'aime pas les garçons de la même manière que j'aime les filles, mais je les aime quand même. Je me demande ce que ça veut dire — si le fait que je préfère les filles est la preuve de ma masculinité.

Un des garçons, originaire de Corée, se fait circoncire à seize ans parce que la fille qui l'invite au bal Sadie-Hawkins (NdT: tradition nord-américaine dans les écoles, une fille doit y inviter un garçon à danser) se moque de son pénis non opéré.

J’ai dix-sept ans

Les filles commencent à penser que je suis un joli garçon. Je commence à penser que je suis une fille laide.

J’ai dix-huit ans

Laura Jane Grace fait son coming-out. Dans Rolling Stone (NdT: un magazine nord-américain bi-mensuel sur la culture pop), elle raconte son enfance passée à prier Dieu: “Cher Dieu, s'il te plaît, quand je me réveille, je veux un corps de femme.” D’autres fois, elle tente avec le Diable: “Je promets d’être tueuse en série jusqu’à la fin de mes jours si tu me transformes en femme.”

Je suis à l’université. J'apprends que certaines personnes demandent à être appelées par des pronoms différents. Je vois la sensation que ça fait dans ma tête. Cela ne fait pas beaucoup de différence. Je veux toujours m'asseoir sur cette chaise et appuyer sur l'interrupteur. Les pronoms sont le cadet de mes soucis.

Je visite une université pour filles. Je suis entourée de nouvelles femmes et nous nous sentons instantanément à l'aise les unes avec les autres. J’assiste à une conférence. L'oratrice crie « Qui veut être une femme ? » et une foule de femmes cis répond « Tout le monde ! ». C’est agréable, mais je pense aux années que j'ai passées à regarder les étoiles par la fenêtre et je me sens soudain mal à l'aise.

Plus tard, au cours de ce voyage, j'ai une conversation avec mes nouvelles amies sur la féminité. Ce sont des femmes posées et intelligentes. Je suis contente d'être à leurs côtés. Jusqu'à ce que l'une d'elles me dise, avec colère, que je n'ai pas vraiment le droit de parler de féminité parce que je suis un homme cishet. Ce n'est pas ma place et ça ne me concerne pas. Je devrais me taire et écouter. Sont-elles de mon côté ?

Je ne la corrige pas. Je ne corrige jamais personne.

On me dit qu'il y a quelque chose de spécial — quelque chose d'ineffable — à propos de la sororité. On me dit que je ne peux ni le vivre ni le comprendre. Elles disent que n’importe qui qui le veut peut être une femme — est-ce vrai ? Qu’est-ce que cela dit de mon amitié pour les femmes ?

Je commence à réfléchir à ce que je pourrais être, si ma féminité n'a pas été refoulée simplement parce qu'elle n'a pas été exprimée publiquement. Je pense à mon enfance en tant que petit garçon, à mon adolescence, à la façon dont mes expériences avec les garçons ont dévié ce à quoi on m'avait appris à m'attendre. Je change de spécialité et passe un an à écrire sur la féminité masculine non-homosexuelle, de l'esthétique de la fin des années 1880 aux stars de la radio vaudeville. Finalement, j'écris ma thèse sur l'amitié et la sexualité des hommes américains et sa représentation à la télévision et au cinéma comme une lettre d'amour/haine aux films de passage à l'âge adulte des années 80, 90 et du début des années 2000. Je reçois en commentaire « J'en ai tellement marre que les garçons écrivent sur les garçons ».

Je pense au fait qu’on m’a dit que je n’ai pas le droit de parler de féminité. Je me demande ce dont une personne comme moi est autorisée à parler.

Un des garçons de l'internat, qui a commencé à se doucher avec moi tard dans la nuit, qui m'a dit en serrant les dents qu'il était trop maigre et trop gros, se jette sous un train.

J’ai dix-neuf ans

Je suis un cursus de sociologie du genre. Je suis toujours abasourdie par le fait que le sujet qui m’obsède, que je lis et étudie de manière obsessionnelle depuis le début de ma vie est maintenant une chose que mes ami-e-s veulent étudier.

On me dit que la masculinité existe en opposition à la féminité et est unilatéralement toxique. Je pense aux « mentors » masculins cruels qui m'ont été imposés tout au long de ma vie, je pense à la camaraderie inhérente aux joueurs de football américain et à des centaines et des centaines d'autres choses.

Je pense aussi aux mentors masculins gentils et dévoués que j’ai croisés. Je pense aussi aux garçons avec qui je suis restée éveillée tard à raconter des histoires, aux garçons que j'ai embrassés, ceux qui m’ont soutenus et encore des centaines et des centaines d’autres choses. Et je pense à moi.

Dans la classe, je suis en désaccord avec précaution, timidement. Je sais à quoi ça ressemble.

Mes professeurs roulent des yeux. Le reste de la classe se compose de femmes cisgenres. Il y a des rires dégoûtés. Plusieurs m’expliquent que la plupart de mes propos concernent la féminité.

J’explique que j'ai envie de croire que dire que l'abnégation et la gentillesse sont des valeurs féminines que les hommes empruntent, c'est comme prétendre que ce sont des valeurs juives que les bouddhistes empruntent.

L'une des étudiantes me dit que je ne peux pas être objective sur la masculinité parce que je suis un homme cishet, et que je devrais me taire et écouter. Sont-elles de mon côté ?

Je ne les corrige pas. Je ne corrige jamais personne.

C’est intéressant de voir comment les gens insistent sur le fait que certains propos peuvent être biaisés par nos expériences, et d’autres fois où nos expériences nous apportent une expertise. C’est intéressant qu'ils pensent que c'est leur rôle de le rappeler.

Je remets un mémoire sur la médicalisation et la pathologisation des identités trans, en particulier en ce qui concerne l'évolution de la législation et ses avancées. J'aime ce sujet parce qu'il est difficile. C'est un problème pratique qui nécessite une délimitation entre "ce qui devrait être" et "ce qui est". Il y a le point de vu cis et le point de vu trans, il y a des biais et des enjeux importants sur chacun d'eux. Être ouvert d'esprit, c'est accepter la liminarité.

Je commence à beaucoup utiliser le mot “liminarité”.

Wikipédia: La liminarité ou liminalité est la seconde étape constitutive du rituel selon la théorie d'Arnold van Gennep, et englobe le concept de lisièrement. Selon cette théorie, le rituel provoque des changements pour ses participants, notamment des changements de statut.

J’ai vingt ans

Je vois Hedwig & The Angry Inch pour la première fois. À la fin du film, Hedwige est nu·e, mouillé·e et sans perruque, un personnage androgyne au corps ni masculin ni féminin. Le sidekick à la mâchoire carrée et à la pilosité faciale prothétique, Yitzhak, joué par la belle Miriam Shor, reçoit une perruque et une robe. Elle fait de son mieux pour ressembler à un homme affamé de féminité, qui y accède enfin. Je ne peux pas prétendre qu’elle est un homme, mais je pleure à chaque fois que je le vois.

Yitzhak dans le film Hedwig & The Angry Inch. Peut-être que vous êtes cis si : ça ne vous fout pas complètement en l'air

C'est aussi l'année où je commence à assister à des spectacles de drag, à la fois sur le campus et dans la ville. Ils ne sont pas… exactement ce dont j’ai vraiment besoin, mais ça s’en rapproche. Je pense à quel point je me sens mieux quand je suis maquillée — et à quel point je me sens mal avec du maquillage.

Je ne peux pas prétendre, comme tant de femmes, que les odes de Beyoncé à la beauté, à la perfection et au Waking Up Like This parlent de moi ou pour moi.

C’est très bien. Je n’ai pas besoin que ça parle de moi.

Laura Jane Grace sort "Transgender Dysphoria Blues" et ce morceau fait vibrer mon coeur comme seule une voix proche de moi peut le faire. Mes amies femmes cis me jettent un regard en coin chaque fois que je l’écoute et me rappellent que "ce n'est pas juste un banger, c'est une chanson avec un message".

Je deviens une grande fan de Eddie Izzard, qui se définit comme un « homme lesbien ». Bien que beaucoup l'accusent de transmisogynie intériorisée — il craindrait de se définir trans — j'admire au moins son rejet des tentatives constantes de transformer son identité en une taxonomie universelle que d'autres personnes ont choisie. J'admire sa constance. J'admire son courage lorsqu'il porte des robes sur scène. Je respecte sa position lorsque la télévision l'oblige à porter un costume. J'admire sa volonté d'être quelque chose de déroutant. Je ne pense pas que nous soyons la même chose, mais je pense que nous sommes tous les deux arrivés à la même conclusion.

Certaines nuits, toujours seule, je sors avec du maquillage et des vêtements de femme récupérés avec une pièce d'identité que j'ai trouvée dans un portefeuille perdu. Je ne me sens jamais aussi masculine que ces nuits-là.

Il fait sombre. Je porte des collants, à cause des poils sur mes jambes. Je vais m'asseoir dans des bars et je bois seule. Une grande partie de ce qui se passe est ce que vous imagineriez. Lorsque vous ne passez pas (NdT: expression de genre correspondant à l'identité que vous vous donnez, ici femme), surtout dans cette ville, vous mangez le trottoir quelque part dans la rue. Quand vous passez, vous êtes une femme seule dans un bar. Je n'ai aucune idée de ce qu’implique la vie publique en tant que femme – trans ou cis –.

Le narratif de la personne trans “née dans le mauvais corps” perd en popularité. Celui de la fluidité de genre en gagne. Tumblr explore et catégorise les identités agenres et non-binaires. Je suis ennuyée face à toutes ces belles personnes Gender Non Conforming en veste en jean et à nœuds papillon avec des cheveux teints, parce que le récit vieillot et binaire du mauvais corps des années 1990 est celui qui me convient le mieux, même après tout ce temps. J'ai toujours su. C'est la première chose sûre dont je me souviens.

À vingt ans, j'en parle enfin à quelqu'un – une amie de longue date qui est une femme trans –, de la lutte de toute une vie contre ce qu'on appelle maintenant la dysphorie de genre. Je me demande comment ça s'appellera dans cinq ans. L'histoire de mon amie est différente de la mienne — elle n'a même pas pensé qu'elle pouvait être trans jusqu'à son adolescence et n'a jamais eu l’impression d’être née dans le mauvais corps — mais ça fait du bien de savoir que quelqu'un comprend tout ça, au moins partiellement.

J’ai vingt-et-un ans

L’humour misandre est à son apogée et dégouline de cissexisme. S’en suivent des tweets amusés de femmes cis sur à quel point les femmes sont plus belles que les hommes — à quel point le corps des femmes est magnifique, et celui des hommes, utilitaire. A quel point les seins sont géniaux. A quel point les hommes s’habillent mal. A quel point ils sont incompétents émotionnellement. A quel point ils seraient trop faibles pour gérer l'accouchement et les règles. Les poils de barbe sont le fléau d’internet. Elles vomissent leurs dégoût des “bides à bière”. La rhétorique SCUM (NdT: vient du SCUM manifesto, un manifeste écrit par Valérie Solanas) renaît avec ses niveaux successifs d'ironie. Le chœur des mèmes explique que les pénis sont juste des clitoris ratés.

C'est comme ça que marche la transidentité ? (description image: graffiti "je préfère être belle qu'un homme")

Je ne sais pas où j'en suis là-dedans. Je ne sais pas comment me positionner par rapport à ça. Sont-elles mes camarades ?

Est-ce que je crois vraiment qu'une perruque et un pronom vont changer ce qu’elles pensent vraiment, au plus profond ? A propos de mon corps ? A propos de mes chromosomes ? A propos de ma « socialisation » ? Non. Je voudrais bien, mais je n’y crois pas.

Elles peuvent croire sincèrement qu’elles sont intelligentes, fortes et raisonnables et que ceux qui sont stupides, faibles, dangereux sont sous leur contrôle grâce à ces caricatures contrôlées, politisées, exécutées de façon réflexive. Si elles me voyaient nue, sans perruque et mouillée, ne serais-je pas soumise à leurs sarcasmes sur les pénis ? Les poils dans la nuque ? La masculinité ? Sur qui a le droit de parler de féminité ? Elles liront ça et se diront “non !”

Dans les années 90, les femmes cis étaient mal à l'aise à cause d’un trombone animé parce qu'il  « ressemblait à un homme ».

Dessin de l'assistant Microsoft Office, un trombone. Aïe ! Des sourcils! Mais je suis sûre que je serai assez féminine.

Sur internet, où j'avais l'habitude de demander à Jeeves "Qu’est-ce qui ne va pas avec moi", je me lance maintenant dans de nombreux débats sur le genre. J'ai toujours ressenti un inconfort vis-à-vis de mes poils mais je n'ai jamais pu les raser. Même si je pouvais me raser les jambes en un clin d'œil, ils reviennent avec une vigueur typiquement masculine. Je fais remarquer à une amie féministe cis que je ne pense pas qu'il soit cool d'utiliser « barbu » comme une insulte. Je dis que je pense que c'est hypocrite. Je dis que je connais des humains merveilleux, tendres et réfléchis qui ont de la barbe. Je connais aussi des gens qui sont très gênés par leurs barbes et ne peuvent pas y faire grand chose. Je me demande s'il existe des moyens de critiquer les gens en fonction de leur caractère sans ridiculiser les poils qui en sortent. Elle me dit que je mansplain. Elle me dit que je fais du “not all men”. Elle me dit aussi que je ne pouvais pas comprendre le standard des normes de beauté imposées aux femmes. Comme si je n'avais pas passé des années penchée sur les toilettes, me sentant misérable, je savais que même si j'étais assez mince, je ne serais pas assez fille.

Elle ne pouvait pas connaître mon histoire bien sûr, mais ce que je disais n’était pas vrai indépendamment de mon histoire.

Je lui fais remarquer, après un débat inutile et stressant, qu'il y a de nombreuses facettes au problème des poils. Quand vous êtes cis et que vous ne vous rasez pas les jambes, certaines personnes pensent que vous êtes une féministe grossière et d'autres que vous êtes une féministe badass. Vous avez le privilège de pouvoir expérimenter avec vos poils, car votre statut et votre identité sont par ailleurs actées d'une manière que ne connaissent pas les femmes trans.

Bien sûr, elle ne pouvait pas savoir combien de fois j'ai pleuré après la puberté lorsque les poils de mes jambes ont commencé à apparaître — je me sentais impuissante parce que je ne pouvais même pas les raser.

Mais ce n’est pas mon histoire qui rendait ce que je disais vrai.

Elles peuvent vous insulter, mais elles ne vous forceront pas à aller dans les mauvaises toilettes. Ça ne fera pas s'effondrer le château de cartes tremblant que vous avez construit pour faire oublier aux gens ce qu'ils pensent que vous êtes. Vous êtes en sécurité là où certaines personnes ne le sont pas.

Lorsque vous êtes trans et que vous ne vous rasez pas les jambes, c’est une preuve pour tout le monde — même pour les allié-e-s, dans leur inconscient sombre et inflexible — que vous n'êtes pas une vraie femme. Parfois vous le pensez vous-même.

Elle est en colère. Elle me dit que je suis un homme cishet et que je dois me taire et écouter. Ce qui la rend vraiment furieuse, c'est d'être contredite par quelqu'un qui, d'après son profil facebook, est moins bien classé qu'elle sur le tableau de la légitimité des discours.

Le privilège d'une personne permet très souvent d’expliquer pourquoi ses croyances sont déformées, si en effet elles le sont, ce qui est généralement le cas d'une manière ou d'une autre. Mais—ça ne permet pas d’expliquer les croyances de merde. Ceux-là ont tendance à se révéler en… étant merdiques. Si quelqu’un dit à cette fille cisgenre que ce qu'elle tient pour acquis est un privilège que les filles trans n'ont pas, pourquoi cette fille cis chercherait-t-elle rechercher l'identité de cette personne pour voir si elle peut la discréditer et ne pas avoir à penser à se qu’on lui reproche ? Ne répondez pas. On connait déjà la réponse.

Une autre fois, je plaisante sur un·e auteurice qui, à mon avis, n'est pas bon-ne. On me dit que je ne dois pas plaisanter à propos de cet-te auteurice, parce qu’iel a une fan-base féminine très importante — son travail est vu comme féminin. On me dit que je ne respecte pas son travail parce qu’il est vu comme féminin et que je dois probablement idolâtrer Bukowski ou Kerouac. Elles ne savent pas que j'ai grandi en lisant cet-te auteurice. On me dit que je ne comprends pas ce que c'est que de grandir en ayant honte de mes intérêts parce qu'ils sont féminins.

J’ai envie de hurler.

J'ai envie de lui vomir les autocollants Lisa Frank (NdT: des produits destinés aux enfants, qu'on pourrait qualifier de féminins) que j'ai décollés de mon bureau en CE2 et que j'ai mangés, paniquée, pour cacher les preuves.

Sur Facebook, la fille qui me parle de mon enfance sur le fait que je n'ai jamais eu honte de mon identité a mis en ligne une photo d'elle de quand elle était petite fille, habillée en fée clochette, debout à côté de ses parents souriants.

A cause de mes troubles du comportement alimentaire, mes cheveux commencent à tomber. Je pense avec effroi au fait d’être chauve, la vie me quitte. Je pense à la façon dont cela détruirait ma faible androgynie, qui est mon seul réconfort corporel. Je pense à ma grand-mère, chauve à cause du cancer et à ce que ça lui a fait. Et j'entends mes amies cisgenres qui se revendiquent fièrement misandres se moquer des hommes chauves comme s'il s'agissait d'une tare ou d'un choix des hommes eux-mêmes. Les hommes chauves leur font penser aux pédophiles de la télévision. Les hommes chauves leur rappellent les auteurs complaisants et les humoristes médiocres. Dans le train, je vois des hommes qui perdent leurs cheveux, leur jeunesse, leurs options, et j'ai de la peine pour eux. Ce n'est pas drôle. C'est un cauchemar dysmorphique pour n'importe qui. Je ne prends pas la peine de mentionner que je trouve ces blagues inutiles et cruelles. Je sais ce qu’elles diront.

Mais je sais que je ne suis ni hétéro, ni cis, ni un garçon. Je ne suis rien d’aussi simple que ça. Je suis une fille qui a vécu beaucoup de merde et qui a grandi en symbiose avec son costume de garçon. Mais ce que je sais également, c'est que ce que je dis est sacrément vrai. Est-ce que je veux même convaincre quelqu'un qui ne m'écoutera que lorsque la doxa lui dira qu’elles doivent me voir comme une fille ?

Dois-je me surpasser pour être traitée comme une personne digne d'être écoutée ? Pour que mes camarades de classes cis arrêtent de se moquer de quelqu'un qui prend en compte les limites et les dimensions de la masculinité et de la féminité d'une manière qui leur est inconnue ? Avec la vie que j'ai vécue pendant toutes les années où je l'ai vécue, ai-je besoin de leur permission pour parler ?

Je ne sais vraiment pas.

J’ai vingt-deux ans

Un élève de ma classe d'art contemporain accroche un cadre de miroir vide au centre de la pièce et invite tout le monde à se positionner de part et d’autre. Une camarade de classe duplique parfaitement mes actions presque sans délai. Je me regarde dans le miroir et je vois son visage et ses taches de rousseur. J'agite la main et je vois des ongles vernis. J'ai des vertiges incontrôlables et je dois quitter la classe. Je pleure à chaudes larmes, secouée de sanglots dans les toilettes des hommes et je reviens vingt minutes plus tard. Le cours est terminé.

J’ai vingt-trois ans

Je ressemble à: un garçon. Un garçon qui a plus de poils qu'il ne peut combattre, même aux endroits qui sont autorisés pour les garçons. Un garçon que beaucoup de femmes cis regardent et disent "tu ressembles à Mac DeMarco, ha ha." (c’est vrai.) "Je parie que tu as lu Jonathan Franzen." (Non.) "Je parie que tu aimes Breaking Bad." (C'était plutôt bien.) "Je parie que tu es un allié pro-féministe autoproclamé, mais que tu ne lis pas d'autrices." (Bordel de merde.)

Ces femmes m'ont expliqué, avec une colère bien-pensante, avec un mépris suffisant, ce qu'est une femme trans.

Une partie de moi veut qu'elles parcourent mes livres — qu’elles y voient où se trouvent les zones marquées et les zones floues, quelles pages sont déformées par des larmes vieilles de plus d’une décennie.

Le reste les veut loin de mes livres ou de quoi que ce soit d'autre qui m'appartient.

J’ai vingt-quatre ans et je ne sais pas quoi faire

Je souscris sans réserve à la pensée féministe intersectionnelle. J’en ai besoin — on en a toustes besoin. Mais est-ce que je veux rejoindre des cercles sociaux qui ne voudront de moi que si je dévoile mes expériences les plus intimes ? Où on me laissera en probation permanente, où on me dira de me taire jusqu'à ce que je mette à nu chaque année de dissociation, de dysmorphie, de dysphorie ?

Dois-je être scrutée, disséquée par les gens qui se sont moqués de moi afin de recevoir mes lettres de créance ?


J'ai maintenant vingt-six ans et ça peut vous faire peur je ne vais pas m’outer. Je ne suis pas non plus en train de transitionner. Voici les raisons les plus évidentes:

Parce que transitionner a des répercussions sociales et financières que je ne peux pas me permettre émotionnellement ou financièrement. Je ne veux pas être traitée comme si j'étais fragile par des amies cis bien intentionnées. Je ne veux pas qu'on me dise que je suis « si jolie » quand je déteste mon reflet dans la glace. Ça ne me fait pas me sentir mieux. Ça me fait me sentir pire et il est presque impossible de le faire comprendre à des personnes cis. Je suis déjà assez mal à l'aise avec les jugements haineux que je reçois lorsque je sors seule en ville avec un passing féminin.

Il y a des avantages et des inconvénients monumentaux à être out en tant que personne trans et dans certains cas, comme le mien, les jeux sont faits. Je choisis de vivre ma dysphorie en privé et sans soulagement pour ménager l'inconfort des personnes cis délicates et pour pouvoir parcourir le monde plus en douceur, sur une douce pente de secrets et de mensonges. (J'ai juste peur que ça vous conduise à conclure que je suis égocentrique et malhonnête par rapport à ça.) Les personnes gays et trans le font depuis des siècles. Il se trouve que je ne pense pas tout à fait que le climat me convient pour être Out 'n About. Mais je suis enthousiaste et heureuse pour les enfants trans de demain. Jalouse d'elleux, même. Peut-être qu'il y aura une chaise et un interrupteur un jour.

Parce qu'il s'avère que la transition n'est pas la solution pour tout le monde suggérer le contraire est étroit d'esprit et prescriptif. Parce que pour certaines femmes trans, la féminité peut sembler asymptotique — plus vous vous en rapprochez, plus vous sentez que vous ne pourrez jamais y arriver. Je me rends compte que ce n’est pas un message inspirant mais c’est la dure vérité: certaines personnes gèrent mieux la dysphorie que d’autres. Quand vous la combattez, elle rend les coups. Je suis pharmacophobe et diagnostiquée obsessionnelle compulsive. Je peux à peine prendre un NyQuil (NdT: médicament contre la fièvre) et un trou dans mes cheveux peut faire monter ma tension artérielle. Je ne suis pas assez forte pour ce combat. Je ne suis pas équipée pour transitionner.

Le mieux que je puisse faire, pour moi, est de décorréler - du mieux que je peux - mon identité de mon apparence et de me concentrer, consciemment, sur d'autres choses. Ce n'est pas impossible ! Regardez les personnages de Dust Bowl, ils essayaient juste de traverser le pays en voiture ! "Son genre?" répondraient-ils, « Je le connais à peine ! »

« De la Spironolactone ? Et pourquoi pas du pain ?!"

J'adore Laura Jane Grace, mais je n'ai jamais voulu être une punk rockeuse. Je ne veux pas être un sujet de conversation ou une curiosité et c'est ce que je serais dans ce monde, pour tant de gens. Tout ce que je voulais, c'était être Wendy Darling. Je voulais être une fille moyenne avec une enfance moyenne. Je ne pourrai jamais revenir en arrière et demander à mes amies de me coiffer pendant les soirées pyjama. Je ne reviendrai jamais en arrière pour porter une robe au bal. Je n'aurai jamais eu d'enfance en tant que petite fille. J'ai eu des années pour essayer d'être en paix avec cette perte et souvent je réussis. Nous sommes des humains. Rien de tout cela n'est juste. Beaucoup d'entre nous se sont vus arrachés des choses.

J’ai lu les messages #eggmode. Ce hashtag en particulier est très bien et propose une perspective précieuse et bienveillante. J'ai vu des femmes trans utiliser « egg » comme un surnom affectueux désignant une certaine période de leur vie, alors qu'elles développaient encore leur style et leurs pensées. Elles partageaient des photos de pré-transition maladroites et raillaient leurs anciennes garde-robes à cause de décisions esthétiques douteuses. Même quand c'est de l’autodérision, ça me semble extrêmement dur; même si la façon dont ces personnes gèrent leur propre histoire ne concerne qu'elles. Cependant, quand c’est adressé à l’encontre d'autres personnes dans le but de remettre en cause leur identité ou leur auto-détermination, c’est révélateur d’un prescriptivisme et une suffisance que je n'aurais jamais imaginé de la part de la communauté trans.

Imagine, cher-e lecteurice, une femme cis expliquant avec assurance:

« J’aimerais ressembler à ça, mais je ne le fais pas et je ne peux pas. C'est nul et ça me fait vraiment mal si je rumine dessus. C'est pourquoi je me concentre sur mon écriture je préfère faire des choses. Investir et construire des choses au-delà de mon corps m'aide à faire face aux complexes qui me tourmentent bien malgré moi. »

Elle n'a pas l'air d'avoir besoin de conseils sur la façon dont le maquillage résoudra finalement son problème, n'est-ce pas ? Elle a l'air d'aller bien. Je suis elle et je suis trans. C'est tout.

J'apprécie les encouragements que je reçois d'ami-e-s trans, mais je refuse que cela implique que la transition soit mon destin. Mon cerveau est mon cerveau — mon corps est mon corps. Ils ne correspondent pas et j'ai choisi de consacrer mon énergie à accepter cela et à me concentrer sur d'autres choses, plutôt que d'essayer de changer mon corps. Je ne suis pas ici pour défendre cette position auprès d'autres personnes trans ou pour décourager quiconque de suivre la voie qu'iels estiment être la meilleure pour elleux. J'admire et j'applaudis chaque personne humble et courageuse qui réussit à faire les deux.

Voici les raisons les plus complexes, dont je me rends compte maintenant que j’ai écrit les plus faciles:

Je déteste le fait que la seule réponse efficace que je puisse donner à « les garçons c'est de la merde » soit « en fait, je ne suis pas un garçon ». J'ai l'impression de trahir le garçon en pyjama de baseball qui était assis avec moi sur le lit pendant que j'essayais de deviner lequel j'étais censé être, et les garçons que j'ai rencontrés et aimés de l'intérieur de mon costume de garçon — qui croyaient parler à un garçon. J'ai l'impression de détruire l'histoire du corps nu, assis sur le sol de ma douche. Le corps qui est allé au bal en smoking boxy mais convoitait les robes.

Parce que je ne suis pas un garçon, mais j'ai eu une enfance en tant que garçon. J'étais et je suis faite pour vivre comme un garçon et je ne peux pas abandonner la perspective de pouvoir, quand c'est nécessaire, mettre en colère un de ces pointeurs mascu en l'appelant un fuckboi, pour ensuite lui dire que ses réactions colériques prouvent qu'il est un fuckboi, ou pour en humilier un avec une capture d'écran OKCupid parce que je me suis fait passer pour un jeunot afin d’attirer ces prédateurs. C’est "fucked up", c’est pourri.

Plus d’une femme trans m’a dit en privé qu'elles sont mal à l'aise avec ce genre de choses, et qu'elles ont peur que le fait d'en parler amène les femmes cis à moins les aimer ou leur faire confiance. « Je joue le jeu », m'a dit l'une d'elle, « parce que dans la communauté queer, les seules personnes qui défendent les mecs cis sont des mec cis. Je ne veux pas compromettre mon passing. »

Une autre m’a dit: « Je dis des choses misandres parce que c'est un moyen facile de gagner en capital social queer, mais quand j'y pense, cela me met mal à l'aise. »

Encore une autre: « C’est une habitude que j’ai prise pour m’adapter et dont je ne suis pas fière. Si je suis d'accord pour dire “les filles les plus belles, les garçons à la poubelle” (NdT: ‘girls rule boys drool’ dans la version originale), je me sens plus femme. »

Avez-vous remarqué que lorsqu'un produit est commercialisé de manière inutilement genrée, le blâme se déplace en fonction de la cible ? Qu'un stylo rose fait "pour les femmes" est (et c'est, bien sûr, vrai) le travail de marketeux cyniques et idiots qui essayent de façon insultante de vendre ce qu'ils imaginent que les femmes veulent ? Mais quand ils font un yaourt « pour hommes », on parle soudain d’à quel point la masculinité est ridicule et fragile — les hommes ne peuvent-ils pas manger de yaourt à moins que leurs pauvres petits cerveaux puissent être sûrs que cela ne les rendra pas gay ? #MasculinitySoFragile s'adresse, avec une méchanceté suffisante, aux hommes, pas aux marketeux.

Cette conclusion, assez consensuelle, est le produit d'un discours isolé. Ce que je ne dis PAS, c'est : « ouvrez les vannes, laissez entrer les trolls mascu de merde ! » Je connais les trolls – ils ont essayé d'être mes amis, ils ont essayé de forcer dans des espaces féministes sans vouloir apprendre ou écouter. Je comprends qu'on ne fasse pas confiance aux hommes qui prennent constamment toute la place concernant les problèmes des femmes et refusent d'admettre quand ils se trompent. Je n'encourage personne à faire confiance aveuglément. Je supplie les gatekeepers : prenez en compte que cet isolement a des conséquences et essayez de les atténuer, si votre priorité est vraiment de trouver la vérité au milieu des mensonges patriarcaux cachés. Examinez ce que vous dites ou reproduisez juste parce que ça sonne bien et que personne ne les conteste.

Ce ne sont pas des problèmes discursifs qui ne s'appliquent qu'à une femme trans « infiltrée », ce sont des problèmes discursifs qui ne sont apparemment visibles que pour une femme trans « infiltrée », obligée de porter des perspectives multiples comme des bosses bactriennes.

banderole "ville sans-nom, population: homme"

Parce que je voudrais compliquer vos définitions de la masculinité et de la socialisation masculine. Je suis née dans cette ville de merde, la masculinité, dans les vestiges d'idéaux dépassés, de machisme et de répression absurdes et il y a des gens bien qui y vivent. Ce ne sont pas eux les responsables. Ils ne l'ont pas construit. Je n’ai pas envie de juste de déménager et dire « Allez vous faire foutre – sortez ou mourrez, je n'ai jamais été l'un d'entre vous. » J’ai envie de construire un meilleur endroit, plus sain — pas passer tout mon temps à dire à quel point c'est de la merde et que quiconque choisirait d'y vivre le mérite. Et pour moi, ça veut dire considérer ses habitants avec bienveillance, même lorsqu'ils ne le rendent pas.

Cette bienveillance s’applique, bien entendu, aux nombreuses femmes cis que je connais, qui sont bien intentionnées et qui tombent quand même dans les travers que j’ai décrits. Mes plus chers amis, les personnes les plus fortes et gentilles dans ma vie, sont des femmes beaucoup d’entre elles sont des femmes cis. Si vous êtes allé aussi loin dans la lecture et que vous pensez que je devrais passer plus de temps à reconnaître les luttes et la frustration des femmes cis pour tempérer mes critiques, sachez que je passe le plus clair de mon temps à le faire. Je pourrais écrire une centaine d'articles sur la façon dont les hommes et la masculinité m'ont endommagé, ainsi que les femmes que j'aime, mais vous pourriez jeter une pierre sur Internet et en frapper trois de la sorte. Ce texte parle de ce que je n'arrive pas à dire.

Car ce n'est pas une mince affaire que les mots "not all men" se soient inextricablement mêlés à la fragilité et aux pleurnicheries masculines. Il est extrêmement facile d'isoler la perspective (largement cis-) féminine de ce que sont les hommes. Commencer une déclaration par ces mots — "not all men" — c'est donner raison à quiconque veut rire du reste. Mais voici la vérité : tous les hommes ne sont pas ce que vous pensez qu'ils sont. L'homme ne veut pas dire ce que vous pensez qu'il signifie. Généraliser durement et largement mais sous-entendre « vous savez de qui je parle » est une paresse intellectuelle et rhétorique qui n'est permise nulle part ailleurs dans ces communautés. Parce que nous ne pouvons pas choisir qui nos paroles et notre comportement affectent, nous sommes obligés de les choisir avec soin.

J’ai été réduite si souvent à mon apparence à l’expression de genre que j’utilise pour mon propre bien par des cis féministes que je ressens un foutu syndrome de Stockholm, un attachement au fait d’être mégenrée, et à cette double-identité. Ma dysmorphobie est plus entrelacée dans mon identité que n’importe quelle autre chose. J’ai vécu pendant des années comme une fille prétendant être un garçon.

Et plus je me rapproche de ce que j’ai souhaité toute ma vie, plus j'ai l'impression de faire de la performance dans un groupe de personnes qui me rejettent à cause des associations qu'elles ont avec mon corps — un corps que je ne peux pas, en fin de compte, changer. Ces personnes ne seront à l'aise que lorsque je diluerai ces associations avec des signifiants féminins.

Comme si peut-être, en étant simplement ce que je suis — un cerveau de fille dans un corps de garçon et des vêtements “pour garçon” — je pouvais détruire quelque chose de très important pour eux. Quelque chose qui rend leur vie plus confortable et plus facile.

Je ne peux pas transitionner, même si je le souhaite profondément. Rien de ce que je pourrais faire n’améliorera les choses. Et je ne vais certainement pas transitionner pour ça, piocher dans les stéréotypes de genre ce à quoi une femme doit ressembler.

Parce que je n'ai pas pu décider ce que je suis. Je serai complètement damné si quelqu'un d'autre le fait.

PS:

Le ouin-ouin confus de l'homme sur à quel point ça a été difficile de grandir avec un "cerveau de femme" et à quel point c'est difficile pour lui comparé à toutes ces femmes cis privilégiées

S'IL VOUS PLAÎT, alliées cis, réalisez qu'il y a des femmes comme celle-ci parmi vous et qu'elles essaient de socialiser en disant à qui veut l'entendre combien les hommes sont nuls. Elles se disent féministes et commentent "ouais !!!" sur la performance de néo en forme de vagin que vous avez partagé sur Facebook.

Maintenant, ce que vous avez envie de dire c'est « pas toutes les femmes cis », ce qui est bien ! Mais souvenez-vous de ce que ça fait lorsque vous entendez « Pas tous les hommes ».

Mots clés

Al Loustoni

Avec MaddyKitty

iel/ellui Punk psychédélique exilé-e à la campagne. insta: @al_loustoni