Addendum à Gender Nihilism - Un Anti-Manifesto
Source originale :
ESCALANTE, Alyson. Addendum to Gender Nihilism : An Anti-Manifesto.
Traducteur.rice : June Gabrielle
Lecture audio de cet article :
Il s'est passé plusieurs mois depuis que j'ai écrit et tenté de distribué Gender Nihilism : An Anti-Manifesto pour la première fois. Entre temps, les réactions à cet article ont été diverses et divisées. Bien que certain·es ont fait l'éloge de son utilité, il y a eu des critiques très pointues (et souvent très importantes) de ce texte. C'est à la lumière de ces critiques que j'écris cet addendum. Mon texte manquait de plusieurs notions importantes, telles que : un contexte, une prise en compte de la race et une articulation explicite du genre comme production coloniale, et peut-être une clarification sur la nature du texte lui-même. J'espère pouvoir ajouter ces éléments ici.
Tout d'abord, il serait trompeur de dire que je ne suis pas consciente du nombre de critiques à propos de ma personne, de ma position sociale et de mes motivations. Laissez moi clarifier ce point. J'écris depuis un contexte académique, j'étudie les théories trans dans un contexte académique, j'ai pour but d'avoir une carrière académique. Je suis consciente que l'université est une institution massivement corrompue et oppressive, et que ses productions sont imparfaites. Je pense qu'il est nécessaire de marcher sur le fil ici et de réaliser que ces productions ont une valeur, et qu'elles n'ont ni le dernier mot ni ne font autorité, peu importe le contexte.
J'ai également été accusée d'être raciste pour diverses raisons peu en rapport avec l'anti-manifeste mais ces accusations sont utilisées pour faire une critique tacite du texte. Je reconnais qu'en tant que personne de couleur non-noire, je suis intrinsèquement liée au racisme systémique car ma position sociale dépend de son instanciation structurelle, et que mon idéologie est influencée par cette position. Je ne contesterai pas comment les personnes noires à l'intérieur de la communauté numérique dont j'ai fait partie m'ont perçues, ce n'est pas à moi de dire que je ne suis pas raciste ou pas. Je dirais juste que je fais de mon mieux pour m'interroger sur mon racisme intériorisé et que je me mettrai en retrait si un échec de cette interrogation me fait prendre une place qui n'est pas la mienne dans un contexte ou une discussion. Ce n'est en définitive pas à moi ou à toute autre personne non-noire de décider de ce qu'il en est. C'est tout ce que j'ai à dire sur ça.
Cela m'amène au premier ajout d'importance de ce texte : le contexte. J'ai écrit cet anti-manifeste par désespoir. Comme bon nombre de femmes trans avant moi (Susan Stryker a décrit ce phénomène à la perfection), je me suis tournée vers la théorie pour tenter d'expliquer et de contextualiser mon vécu. Le nihilisme de genre a été conçu en commun, à travers des discussions avec un groupe de camarades, principalement des femmes trans de couleur. C'était une tentative d'articuler de quelle manière le genre nous affecte tou·tes et d'en exposer la violence. Ce dont nous avons discuté était principalement centré autour de quelques penseur·ses, mais celle qui fut la plus importante pour nous, sans pour autant être nommée dans mon texte, fut Maria Lugones. Au travers de son travail sur le colonialisme du genre, nous avons tenté d'articuler comment le système de genre, auquel nous nous référons dans le nihilisme de genre, n'est pas un terme inclusif des systèmes de genre indigènes et non-occidentaux, mais plutôt un régime spécifique imposé sur nos corps au travers de la colonisation. Pour une question de temps, je n'ai pas inclus ceci dans l'anti-manifesto; pour celleux parmi nous ayant eu cette discussion, cette hypothèse et ce cadrage d'une critique décoloniale du genre étaient implicites.
Ce fut une erreur, tout le monde n'ayant pas ce contexte. Sans cela, il apparait parfaitement compréhensible que ma critique du genre ne soit pas celle d'un phénomène colonial spécifique mais plutôt de la diversité et des multiples phénomènes que ce terme pourrait recouvrir. C'était une erreur de ma part de l'exclure, une faute et c'est pourquoi cet addendum est nécessaire. Si vous voulez comprendre ce contexte, je vous invite à lire le travail de Maria Lugones, tout particulièrement Towards a Decolonial Feminism. Je ne blogue plus, mais son travail est accessible et je pense qui si vous êtes intéressé·es vous pouvez l'explorez de vous-mêmes. Je vous implore également d'écouter les voix des autres personnes participant au nihilisme de genre. Je pense qu'il est parlant que j'en sois présentée comme la voix alors que deux des plus grandes contributrices sont des femmes transgenres indigènes. Leurs voix dans ce débat importe plus que la mienne, et pourtant les gens ont complètement et en permanence centré ma voix et ma perspective. Ceci est dangereux.
Finalement, ce texte n'avait pas pour but de dire à quiconque comment penser le genre, c'est le résultat d'une analyse collective par un groupe spécifique parvenu à des conclusions nous permettant de comprendre nos vies. Si vous n'aimez pas nos conclusions, soyez libres de les rejeter. Je ne vous demande ou ne vous impose pas d'être d'accord avec moi. Je suis heureuse que cette discussion et le discours à propos de ces idées continuent. J'ai fait des erreurs en omettant des cadrages contextualisant cruciaux ce qui a fait passer mon texte, du moins tacitement, comme une complice du blanchiment de la société et du colonialisme. Je ne suis pas là pour me défendre, simplement pour pointer vers où vous pouvez vous tourner pour poursuivre cette façon de penser pour éviter cette erreur. Continuez à résister, continuez à lutter, à discuter, à survivre. J'espère que je n'ai pas rendu ceci plus difficile, et j'espère sincèrement avoir pu être d'une aide quelconque, même minime.