(Re)devenir Femme: Mon Histoire de Dé/Transition
Source: https://shabnaka.medium.com/un-becoming-woman-my-de-transition-story-74c4eed90705
Auteur: Shabnak-Adyr
Traductrice: Clémence Sohet
Publié initialement: 24 janvier 2022
Cet article est une traduction de l'article écrit en anglais par Shabnak-Adyr et publié initialement sur Medium sous le titre "(Un)becoming Woman: My De/Transition Story".
Je crois que j'étais en moyenne section quand j'ai appris l'existence de Jeanne d'Arc.
Pas surprenant que je me sois épris d'elle : une fille de basse extraction, religieuse dévote, endossant un rôle masculin dangereux. Je me suis vu en elle, toutes proportions gardées. D'une certaine manière, j'aspirais à être elle. Il y avait quelque chose de profondément fascinant chez elle que je ne parvenais pas à bien nommer, et que j'aurais été incapable de complètement comprendre ou énoncer avant qu'une décennie se fût écoulée.
J'avais déterminé que j'étais transgenre aux alentours de mes douze ans. La réalisation a été quasi instantanée — J'étais tombé sur un blog sur lequel étaient postées des photos de personnes transmasculines, et la connexion avec moi a été immédiate. Ayant été élevé dans une église évangélique d'une communauté rurale, j'ai été très peu exposée à de la non-conformité de genre. Jamais ne s'est présentée à moi la possibilité que je puisse m'échapper des attentes d'une féminité traditionnelle imposée à moi en vertu de ma "femellité". Le moment où cette option s'est présentée à moi était à la fois libérateur et effrayant.
Ces sentiments ont persisté durant mes années d'adolescence. Je m'en suis finalement ouvert à ma mère, qui m'emmena sur-le-champ voir un thérapeute. On m'a diagnostiqué une dysphorie de genre. Rien ne résulta de ce diagnostic, à cause de la religiosité de mes parents. La plupart du temps, ils firent comme si ma dysphorie ou mon incongruence de genre n'existait pas, et je finis par adopter la même approche.
Il m'a fallu attendre de quitter la maison et fréquenter une université avant que je commence à revisiter ces sentiments que j'avais supprimés pendant des années. J'étais dans une des plus grandes villes des États-Unis, et mon université était bien connue pour être très progressiste, ce qui facilita de nouveau mes explorations de genre. J'en appris plus sur les personnes transgenres/non-binaires, et les manières variées dont les personnes transgenres et en non-conformité de genre (T/NCG) exprimaient leurs identités.
J'avais 19 ans lorsque je décidai d'acheter un binder pratiquement sur un coup de tête. J'avais bandé ma poitrine tout au long du collège et du lycée avec des bandages médicaux et de contention, et je voulais voir comment on se sentait dans un vrai binder. Après l'avoir essayé, j'ai été submergé d'émotions. Je réalisai alors combien j'avais réprimé mon malaise vis-à-vis de mon corps sexué, et combien je pouvais potentiellement me sentir mieux. Une fois que je le sus, il n'y avait aucun moyen de le dé-savoir. Je me suis affirmé en tant qu'homme trans au tout début de 2018. Quelques mois plus tard, j’entamai une thérapie à base de testostérone (T). Un an après mon coming out, j'ai procédé à une mammectomie.
Le traitement hormonal de substitution (THS) et la mammectomie ont radicalement changé mon corps, à la fois de manière attendue et inattendue. Les résultats étaient généralement considérés "bons", dans la mesure où ils concernaient l'esthétique de ma mammectomie et l'absence relative d'effets négatifs sur ma santé physique. Les améliorations immatérielles que le traitement m'ont apportées étaient cependant plus importantes. Le processus d'altération de mon corps m'a donné un sentiment de pouvoir sur moi-même que je n'avais jamais connu auparavant. Pendant la majeure partie de ma vie, je me suis senti paradoxalement déconnecté de mon corps tout en étant emprisonné par lui. Je ne le sentais pas mien — je le sentais comme quelque chose qui m'était imposé. Je n'avais aucun choix là-dessus. Quand j'ai pris la décision de poursuivre ces traitements purement pour mon bien-être, j'ai finalement senti que ce corps était le mien, et pour la première fois, j'ai commencé à me sentir à l'aise corporellement, mais je l'ai également ressenti comme mon propre corps.
Bien que ma transition avait été profondément positive en termes d'aspects médicaux/chirurgicaux, les aspects sociaux étaient loin d'être idéaux. J'avais du mal à "passer" en tant qu'homme. Aux premiers stades de ma transition, j'étais généralement perçu comme une femme butch, ce que j'avais anticipé. Cependant, je m'attendais à ce qu'au fil de ma transition (spécialement avec la testostérone), je passerais avec plus de régularité. Cela n'a pas été le cas. On me percevait encore souvent comme "femme". La plupart des inconnus se réfèrent ainsi à moi. J'ai relevé toutes ces occasions où des personnes bienveillantes à l'université prenaient un temps d'arrêt avant de s'adresser à moi, hésitant sur les pronoms à employer et craignant de m'offenser en les demandant. En dépit de mes efforts à avoir l'air masculin, à restreindre mes manières et affects "féminins", j'étais visiblement transgenre non-conformiste (T/NCG), ce qui entraîna une grande détresse.
Le temps passant, ma santé mentale se détériora à mesure que je commençais à perdre espoir de pouvoir un jour "passer" en tant qu'homme. Je ne pouvais être présent dans les interactions sociales, tant je faisais une fixation sur le timbre de ma voix, mes maniérismes habituels ou chaque fois que j'étais trop expressif. Par-dessus tout, je prêtais particulièrement attention aux pronoms que les gens utilisaient pour moi, et entendre le mauvais m'était pratiquement insupportable. Je commençai à envisager des procédures supplémentaires pour masculiniser mon aspect. Loin du tourbillon d'attentes que je ressentais avant ma mammectomie, la planification de ces procédures ne me procurait aucune joie.
Au cours de l'hiver 2020/2021, je commençai sérieusement à envisager de continuer ou non ma transition. Je réalisai que mes ruminations sur des procédures supplémentaires n'étaient pas alimentées par mes propres désirs. J'avais voulu la mammectomie pour mon bonheur personnel, pour être plus incarné, mais ces procédures-là n'étaient destinées exclusivement qu'à ce qu'on me perçoive en tant qu'homme. Je risquais de ne pas aimer les résultats, ou de subir des complications, ou de perdre ce sens de l'incarnation que j'avais finalement trouvé. Et d'une manière étrange, le fait d'essayer si fort d'être perçu comme homme rendait tout cela plus douloureux encore lorsque j'échouais — et si je faisais tout cela pour ne toujours pas passer ?
Au final, j'en vins à la conclusion que ma transition ne me rendait plus heureux. Elle avait commencé à me distraire et m'empêcher de vivre ma vie.
Au cours de la première moitié de 2021, je stoppais et reprenais ma consommation de testostérone pour voir si je pouvais vivre sans. Bien que mes sensations étaient variées, je finis par déterminer que je pouvais, et que ne plus en prendre était le meilleur choix pour moi. J'essayai de me déconnecter du genre dans la foulée, mais je trouvai cela difficile. Effectuer un "retrait" de mon genre était plus théorique que pratique, parce qu'il se répand dans toutes les interactions que nous avons. Ayant résolu d'arrêter ma transition, j'ai dû me confronter à la manière dont je me sentais en tant qu'individu genré/sexué.
Une fois que j'eus abandonné les attentes d'être un homme, je fus capable d'explorer des portes que je m'étais fermées précédemment. Parce que j'avais voulu être vu comme un homme, j'avais minimisé ou totalement ignoré de nombreux faits me concernant moi et ma vie, et que je ressentais comme menaçants pour mon identité masculine. Par exemple : "me sentir homme" était distinct de la manière à laquelle je pensais pour moi-même. Je voulais être vu comme homme, mais je pensais toujours à moi-même comme une femme. Je me sentais en commun avec les femmes. Je me concevais comme une femme, particulièrement dans le contexte des relations romantiques/sexuelles, peu importe le genre de maon partenaire. On m'avait dit que ces sentiment étaient communs chez les personnes transgenres, et changeraient avec le temps. Mais ce ne fut pas le cas. J'avais toujours souligné mes côtés masculins, spécialement ceux de mon enfance, mais ignoré tous les côtés féminins. En vérité, les deux faisaient partie de moi, et mon processus de détransition me permit d'accepter cela.
Souhaiter être de temps en temps perçu comme homme, recevoir une mammectomie et un THS, ces expériences sont considérées comme autant d'expériences d' "homme trans". J'ai utilisé cette étiquette comme moyen de communiquer mes désirs et expériences internes (quoique imparfaitement), et pour accéder aux traitements dont j'avais désespérément besoin pour me sentir à l'aise avec moi-même. La possibilité qu'une femme puisse vouloir ces traitements et continuer d'être une femme ne s'était jamais présentée à moi. Et si elle l'avait été avec cette possibilité et que j'avais été honnête sur le sujet, je doute que j'aurais été capable d'accéder à ces traitements, car les gens déviant des chemins "typiques" et binaires de transition sont vus comme encombrants. Mon identité en tant qu'homme trans était nécessaire à ce moment-là, mais il m'était également nécessaire de m'en défaire pour retrouver le bonheur.
Il y a quelques mois, je me suis de nouveau retrouvé sur le chemin de Jeanne d'Arc. En nettoyant mon placard (la symbolique ne m'échappe pas), j'ai retrouvé un projet artistique du lycée : deux dessins à l'encre de Jeanne d'Arc. Dans l'un, elle monte un cheval, porte une épée et un drapeau, revêtue d'une armure et cheveux ébouriffés. Dans l'autre, elle porte une robe avec un ourlet roussi et flottant alors qu'elle brûle sur le bûcher. Bien que je l'avais à peine compris à l'époque, je crois que mes dessins n'étaient pas simplement dus à un intérêt maladroit pour les saintes du XVème siècle (15ème siècle). Ils ont canalisé mon désir d'être une femme courageuse et masculine, défiant les attentes d'une société appliquant rigoureusement une stricte binarité de genre/sexe. Ils ont canalisé ma peur d'être persécutée pour mon non-conformisme, et d'être féminisée de force tout du long. Je n'avais pas les mots ou les connaissances pour exprimer tout ceci — juste une connexion et un vague inconfort.
Précédemment, j'ai établi que si on m'avait considéré comme homme, je pense que je vivrais toujours en tant qu'homme. Je ne saurais dire si cela est meilleur ou pire que là où j'en suis actuellement. D'un côté, j'aurais évité une bonne partie de la détresse que j'ai ressentie en raison de mon "échec" dans mon rôle social en tant qu'homme. Mais je n'aurais pas pu me confronter aux parties de moi que j'ai essayé de repousser hors de mon esprit. Nos identités sont parfois désordonnées, parfois même incohérentes. Je crois que les succès et les échecs que nous rencontrons, et la connaissance que nous avons à n'importe quel point de notre vie, impacteront la manière dont nous nous concevons nous-mêmes. Je ne peux pas savoir avec une certitude absolue comment je me penserais ou où j'en serais si les choses avaient été radicalement différentes, ou si/quand je ne savais pas ce que je sais maintenant. Voilà pourquoi j'essaie de me concentrer sur mon moi actuel.
Il y a de nombreux termes qui décrivent mon expérience de genre/transition et les examinent depuis de multiples angles. Quelque part, "FtMtF" (Female-to-Male-to-Female) est un terme cru, mais une manière simple de décrire mon chemin de transition. "Retrans(itionnée)" décrit de manière similaire mon chemin "atypique" ou non-linéaire. "GNC" (Gender non-conforming, soit Non-conformiste de genre) reconnaît que je sors des codes socialement acceptables du genre/sexe. Mon terme favori est "virago", qui englobe les femmes typées guerrières masculines qui m'ont fascinée la majeure partie de ma vie. Parce que je m'identifie à mon genre assigné à la naissance, je ne me considère plus comme "transgenre" au sens strict, mais je considère toujours que je fais partie de la plus large communauté des T/GNC en raison de ma non-conformité continue et de buts partagés. Ultimement, cependant, j'essaie de ne pas m'attacher exagérément à certains termes, au cas où ils commenceraient à être trop restrictifs au même titre que "homme/masculin" l'ont été pour moi.
Je sais deux choses : mon désir d'une mammectomie et d'un THS étaient réels, et je suis toujours réjouie des résultats. Je n'ai aucun désir de retour en arrière, et en fait, je pense que je serais toujours dysphorique de mon corps si je n'avais jamais transitionné. Je suis indubitablement heureuse d'avoir transitionné. Mon seul regret est de ne pas avoir eu l'information dont je dispose maintenant, ce qui m'aurait permis de vivre une incarnation plus authentique depuis le début. C'est pourquoi je voudrais sensibiliser aux chemins de transition non-traditionnels. Je veux que les gens soient capables de prendre des décisions au sujet de leurs propres corps, peu importe leurs identités ou à quel point iels rentrent dans un moule prédéterminé. Il n'y a aucune raison pour laquelle une personne avec une identité binaire devrait être forcée de transitionner binairement, ou pour laquelle une personne non-binaire ne pourrait pas vouloir d'un cheminement binaire. Si un traitement de transition peut rendre une personne plus heureuse et mieux incarnée, pourquoi devrait-on les restreindre ? Parce que ma dé/retransition a été cruciale pour comprendre où j'en suis aujourd'hui, je veux remettre en cause l'idée que détransitionner est la fin du monde. Je veux combattre cette idée selon laquelle les corps transitionnés sont abîmés ou ruinés.
Ce que je veux pour les personnes transgenres et non conformes, c'est qu'elles aient accès aux soins dont iels ont besoin. Avoir la liberté, le respect, l'autonomie corporelle, et toutes les informations dont nous avons besoin pour choisir en connaissance de cause ce qui est le mieux pour nous. Les personnes T/GNC sont contraintes et abandonnées de manière répétitive par les systèmes socio-médicaux qui se focalisent sur notre assimilation à la binarité de genre/sexe, et si nous voulons nous libérer de cette binarité, alors nous devons combattre ensemble.
- Shabnak-Adyr