Pas d'abolition sans anti-psychiatrie, combattre pour l'abolition de la psychiatrie
Le texte original a été publié dans DOPE magazine n°17 (2022), que vous pouvez retrouver ici : https://www.dopemag.org/issue17.
Campaign for Psychiatric Abolition (CPA) est un groupe de survivant·es de la psychiatrie qui lutte contre tous les systèmes carcéraux.
Nous sommes Campaign for Psychiatric Abolition (CPA), un collectif de survivants de la psychiatrie. Nous combattons les violences de la police, des prisons et de la psychiatrie. Nous voulons démontrer que nos luttes collectives contre l'impérialisme, le racisme, le capitalisme, le patriarcat cis/hétéro et la catastrophe climatique sont aussi des luttes contre la psychiatrie. Nous avons formé CPA après avoir constaté l'hostilité des milieux radicaux face à l'anti-psychiatrie et la libération fol. Il semble parfois que les personnes qui comprennent le besoin d'abolir la police et la prison voient la psychiatrie, l'institution qui a enfermé et torturé tant d'entre nous, comme bienveillante et attentive. Ce mythe a insidieusement fait son chemin dans les lieux qui devraient être sûrs pour les victimes de la violence d’État.
L'histoire nous éclaire sur la psychiatrie. Celle-ci existe pour nous contrôler, pas prendre soin de nous. La naissance de la psychiatrie ne peut pas être séparée de l'eugénisme et du colonialisme. C'est le terreau qui a permis à l'eugénisme de se développer. La psychiatrie a été créée comme un outil pour justifier le pillage violent et la torture des peuples colonisés à travers le monde. En diagnostiquant certains peuples comme inférieurs, dérangés, déviants et délirants, les colons ont pu légitimer les sévices qu'ils infligeaient aux peuples colonisés. Les personnes esclavagisées qui fuyaient leur servitude étaient étiquetées comme souffrant de drapétomanie, une maladie mentale supposée, parce que la société blanche refusait d'accepter l'idée que les personnes noires pouvaient se révolter contre leurs oppresseurs. Aujourd'hui, la psychiatrie sert aussi à viser les communautés musulmanes, travaillant main dans la main avec le programme PREVENT (NdT : programme anti-terroriste) pour renforcer la surveillance et le maintien de l'ordre, transformant un fol musulman en risque terroriste de manière automatique.
Leur propagande : https://www.counterterrorism.police.uk/what-we-do/prevent/
La longue histoire de la queerphobie aux mains de la psychiatrie est également bien documentée, avec les thérapies de conversion et les électrochocs comme “remèdes” à l'homosexualité, considérée comme une maladie mentale jusque 1973, tandis que la transidentité continue d'être médicalisée et pathologisée. Les femmes aussi ont été et sont toujours considérées comme hystériques et enfermées en asile, souvent en raison de leurs réactions traumatiques à la violence patriarcale. Nous ne savons aussi que trop bien, comme on l'a vu avec l'Allemagne nazie, Mussolini (NdT : Benitto Mussolini, qui a conduit un gouvernement fasciste en Italie de 1922 à 1945) et la stérilisation des femmes noires, indigènes et portoricaines par les États-Unis d'Amérique, que la psychiatrie a été un outil de l'extrême droite. Toute institution si facilement incorporée au fascisme devrait voir sa légitimité remise en cause.
Pour en savoir davantage sur l'histoire et les évolutions de la psychiatrie, de la russie impériale jusqu'à la russie soviétique : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02382347/
Peu de choses ont changé : la psychiatrie continue d'être mobilisée contre les communautés opprimées, les asiles de fous des années 1800 existent toujours (pour le moment), où résonnent les échos obsédants d'anciens patients, noyés par les cris désespérés des patients actuels. Nous hurlons toustes pour la même chose : l'abolition. La psychiatrie a peut-être appris à se rendre plus respectable, mais l'asile de fous, les électrochocs et les tranquillisants se trouvent juste sous la surface.
Nous avons formé CPA pour lutter contre la violence et la mort qui imprègnent la vie de tout·e survivant·e de la psychiatrie. Notre organisation a produit une large variété de travaux communautaires. L'un des aspects de notre organisation réside dans les ateliers que nous mettons en place sur l'abolition de la psychiatrie à travers la Grande-Bretagne, à la fois au public, aux camarades et aux organisations radicales. Nous considérons que l'éducation sur la libération fol, les soins de crise et le soutien par les pairs sont des compétences essentielles pour la vie et l'organisation. Il ne s'agit pas de sensibiliser, mais bien de survivre. Il s'agit de savoir comment être présent·e pour nos camarades et nos proches sans appeler la police ou les médecins.
Notre travail inclut aussi le soutien matériel à nos communautés, comme la livraison de colis de soins pour nos ami·es incarcéré·es dans des services psychiatriques et en leur apportant le soutien et les ressources dont iels ont besoin, tout en luttant collectivement pour leur liberté. Nous nous efforçons également de combattre les racines de la détresse mentale, comme la pauvreté, l'oppression et le sans-abrisme, en apportant une aide mutuelle et en offrant un lieu sûr pour les survivant·es de la psychiatrie, afin que nous puissions exprimer nos expériences sans nous sentir rejeté·es. Nous croyons à l'importance de l'action directe et de la lutte pour l'abolition de la psychiatrie jusque dans la rue, et pour soutenir cette croyance, nous menons des actions, avec d'autres survivant·es de la psychiatrie, pour cibler ces lieux d'abus et de torture.
Nous voulons également saisir chaque opportunité pour attirer l'attention sur le lien entre les luttes et les expériences des personnes psychiatrisées, des prisonniers/prisonnières et des personnes incarcérées dans des centres de détention (NdT : centres administratifs qui séquestrent les migrants ou centre de rétention administrative en France). Toustes sont déshumanisé·es parce que considéré·es comme ‘fols’, ‘mauvais·es’, ‘illégauxles’, voire les trois à la fois. Nous sommes transporté·es dans les mêmes véhicules de haute sécurité pour être enfermé·es loin de nos communautés, et notre lien avec le monde extérieur se trouve limité à un point touchant la torture. Nos biens et notre humanité – vêtements, photos, lacets de chaussure, appels téléphoniques, visites – nous sont retirés, chaque morceau de nourriture et chaque goutte d'eau contrôlés. Dans certains lieux, on utilise même des camisoles de force et des entraves, et on jette les patients dans des bains et des douches glacées ou brûlantes.
Iels contrôlent chaque détail de nos vies et de notre enfermement, jusqu'à la couleur des murs, qui sont peints avec des couleurs “calmes” pour tenter de “tromper nos esprits”. Tout est pensé pour rendre notre existence aussi torturée que possible. Les portes et fenêtres sont condamnées et si nous montrons trop de signes de détresse, nous pouvons être placé·es à l'isolement pendant des jours. Iels nous surveillent avec des caméras situées à chaque recoin des établissements et le personnel nous surveille 24h sur 24, prêt à nous restreindre physiquement ou chimiquement sans notre consentement. Alors que nous sommes déclaré·es légalement insensé·es ou “criminel·les”, les recours que nous pourrions déposer au tribunal ne seront pas pris au sérieux, et une fois sorti·es, si jamais nous le faisons, nous ne trouvons que davantage d'obstacles au logement, au travail et à la réintégration dans la société dont nous avons été arraché·es pendant si longtemps.
Au 21e siècle, contraindre les fols et utiliser des techniques d'électrochoc sont toujours considérés comme des remèdes acceptables à notre détresse, détresse souvent causée par les forces dominantes et la pauvreté si répandues dans le capitalisme racial. Quand nous disons que nous sommes traité·es comme en prison, ce n'est pas pour créer une division entre une punition méritée ou imméritée, mais pour dire avec insistance et sans conteste que les luttes de celleux que la société considère comme “insensé·es” et “criminel·les” sont inextricablement liées. Nous ne faisons qu'une seule lutte, et nous étendons notre amour et notre solidarité illimitées à tous nos pairs incarcérés, de quelque façon, en ce moment. Nique les cages !
Nous n'appelons pas à la fin du soin pour la “santé mentale” (NdT : les guillemets sont de moi), mais nous appelons seulement à ce qu'il existe en premier lieu. Nous méritons un monde où nous pouvons guérir, au lieu d'un système qui reproduit les traumatismes. Nous nous battons pour une santé communautaire, centrée sur les patients, où la violence de la pauvreté, du racisme, de l'incarcération et du colonialisme ne nous mènent pas à l'aliénation. Un monde où nous pouvons prendre soin les un·es des autres, où nos besoins sont pris en compte et où la folie n'est pas considérée comme une faillite individuelle mais comme une incitation à renforcer nos communautés.
Nous luttons pour la fin du monopole de la psychiatrie sur la “santé mentale” (NdT : les guillemets sont de moi), parce qu'au quotidien, davantage de notre entourage souffre et meurt, sans autre possibilité que l'enfermement. Personne ne sera libre tant que la psychiatrie ne sera pas abolie. L'antipsychiatrie n'est pas un mouvement destiné à rester coincé dans les années 60, c'est une pratique active que les survivant·es renforcent chaque jour. Nous sommes antipsy, parce que nous ne pouvons pas faire autrement. Nous sommes antipsy parce que, malgré tout, nous essayons d'arracher nos vies des griffes de la mort.
Un jour, du système qui nous malmène ne resteront que poussières, et nos communautés auront l'espace nécessaire pour guérir et s'épanouir. Nous pouvons vous le promettre car nous n'avons jamais senti ou été témoins de plus de douleur, de fureur et de détermination que dans les yeux des survivant·es de la psychiatrie. La lutte contre la psychiatrie est une lutte pour notre libération collective. La psychiatrie tombera, et à sa suite, nous toustes pourrons nous élever.