Illustration de Doris Liou

Mecs trans' et travail du sexe : état des lieux aux US - avec Stevie Trixx et Viktor Belmont.

Traduction 28 juil. 2021

Source: https://www.them.us/story/trans-men-in-sex-work-steve-trixx-viktor-belmont

Autrice: Hallie Liebermann, pour "them"

Traducteurice: Wormwood

Publié initialement: 12 mai 2021

Thèmes sensibles mentionnés (entre autres) :
travail du sexe, organes génitaux, chirurgie, transphobie, pornographie.


Des questions que les personnes trans' en ont marre d'entendre, on en pose constamment à Stevie Trixx, un travailleur du sexe transgenre à voix douce et barbe rousse. « Quand est-ce que tu t'es fait opérer ? Ça fait combien de temps que tu prends des hormones ? Et tes parents, ils savent ? »  L'acteur de 32 ans a décidé de répondre à ces questions gênantes sans s'offusquer.

« C’est bien souvent la première fois qu’ils rencontrent une personne trans' », affirme-t-il en faisant référence à ses clients. « Je ne suis pas offensé, car ils me payent ; je suis donc en position de pouvoir. »

Trixx est l'un des rares travailleurs du sexe transmasc' aux États-Unis : être une minorité au sein d'une minorité soulève pour lui et ses collègues des défis uniques. En ce qui concerne les personnes transgenres travaillant dans l'industrie du sexe, les hommes sont moins mis en avant et donc moins visibles que les femmes. C'est d'ailleurs cohérent avec le versant cis de l'industrie où les femmes sont également sur le devant de la scène - pour le meilleur et pour le pire ! Cependant, grâce à l'émergence d'une nouvelle génération d'artistes, acteurs et interprètes tels que Trixx, les hommes trans' commencent à revendiquer leur place dans l'industrie du sexe.

« Les femmes transgenres, qui cumulent les oppressions, se sont battues avec fougue pour que le monde reconnaisse leurs droits et leur existence ; c'est une des raisons qui font que la plupart des gens n'ont pas vraiment conscience que les hommes trans' existent », dit Trixx. Une étude de 2020 publiée dans la revue Transgender Health suggère qu'hommes et femmes trans' se comptent en nombre presque égal ; cependant, l'écart de visibilité persiste, à la fois dans le travail du sexe et dans la société en général. Trixx fait partie des personnes qui travaillent en vue de réduire cet écart, mais ses pratiques actuelles sont loin de ce à quoi il se serait attendu plus jeune : avant d'être escort et acteur porno, il a en effet fréquenté l'Université de New York où il a obtenu une maîtrise en études de genre, puis a travaillé comme journaliste.

Il passe assez vite de l'écriture au travail du sexe : « En 2015, écrire sur les questions trans' était difficile, et honnêtement, j'ai été confronté à de nombreuses critiques sévères au sein de ma communauté pour avoir dit des choses qui n'étaient pas exactes à 100%... En fait, j'ai l'impression d'avoir plus d'impact [en tant qu'escort] que lorsque j'étais écrivain. Il y a quelque chose de différent entre le fait de voir une personne trans exister et apprécier sa sexualité, et le fait de se faire expliquer le concept de transition ou de la théorie du genre. »

Trixx sait cependant que le travail du sexe n’est pas un substitut parfait à l’éducation des personnes sur le phénomène de la transidentité : « Il y a là un risque. Pour certains, cette compréhension ne se fera pas et on tombera simplement dans la fétichisation, qui a ses dangers spécifiques ; mais pour d'autres, ressentir de l'attirance ou de l'amour envers une personne trans' ouvre la porte à une envie de prendre soin des individus se définissant ainsi, à conscientiser notre existence et à nous défendre. Je pense - ou du moins j'espère - que ma présence a provoqué plus de ces derniers. »

Le jeune homme fait partie d'une vague d'artistes pornos transmasculins qui s'expriment sur les problèmes auxquels ils sont confrontés, entre autres celui de la fétichisation au travail : « Beaucoup de personnes louent mes services ou regardent mes vidéos uniquement parce que je suis trans' et que je n'ai pas fait – et ne ferai pas – de chirurgie génitale. Il y a une sorte de façon désincarnée dont les gens parlent des hommes trans' en mettant l'accent sur nos organes génitaux, et en oubliant magiquement la personne autour. Je reçois beaucoup de gars qui me sortent des trucs comme “je baiserais bien ce trou, cette chatte, etc.” »

Trixx n'apprécie que peu le fait d'être fétichisé ainsi par ses clients qui sont, pour la plupart, des hommes cis homosexuels, bien qu'ils incluent des personnes de tous genres ; mais il sait que cela ne s'arrêtera pas de si tôt : « Lorsqu'on entre comme je l'ai fait dans une communauté minoritaire de niche, on doit s'y attendre », se résigne-t-il.

Un certain nombre de professionnels du sexe transmasculins décident alors de se regrouper en ligne, où ils peuvent discuter de leurs expériences dans la sécurité de la non-mixité : « Il y a un sentiment de communauté entre les hommes trans', c'est sûr », affirme Viktor Belmont, acteur porno et escorte, qui appelle Trixx un “amoureux d'Internet” parce qu'ils ont bavardé en ligne mais ne se sont jamais rencontrés en personne. « J'essaie d'apporter ma pierre à l’édifice chaque fois que je découvre un petit nouveau qui essaie de percer dans la communauté : je le retweet, le republie, j'essaie de le faire avancer. Nous sommes une petite communauté, mais solidaire, et qui se développe rapidement dans le monde du porno. » Belmont ne considère pas ces nouveaux artistes comme des concurrents : « J'adore voir des garçons qui étaient mes fans avoir maintenant plus de followers que moi ! »

Trixx est heureux lui aussi de voir la communauté des TDS transmasc' grandir, et donne lorsqu'il le peut des conseils aux acteurs et performers débutants. « Je suis plutôt ouvert à partager ce que je sais, parce que je n'ai pas moi-même eu cette chance et que je connais la difficulté d'avoir à tout découvrir sur le tas ». Naviguer dans la communauté du porno gay a été particulièrement délicat : « Je pense que certains [studios de porno gay] ne sont pas prêts à travailler avec nous », déclare-t-il. Trixx n'a d'ailleurs été présenté que dans un seul film tourné en studio : “Bussy”, de Treasure Island Media, sorti en janvier 2020, et qui a été plutôt mal accueilli. « Des spectateurs ont menacé de de désabonner du site de TIM », explique-t-il. De nombreux artistes figurant dans “Bussy” sont des hommes trans' qui n'ont pas subi de chirurgie génitale, ce qui a enragé certains des abonnés de Treasure Island Media, l'un des studios de porno gay les plus connus des États-Unis. Comme souvent lorsque cela concerne les personnes trans', le débat sur les organes génitaux s'est transformé en bataille rangée. Les utilisateurs de certains forums en ligne pensent que peu importe la quantité de testostérone qu'un artiste prend, peu importent son identité de genre, à quel point sa poitrine est velue ou sa barbe buissonnante ; s'il a une vulve, il ne devrait pas jouer dans du porno gay.

Shaan Lashun, co-fondateur du tout nouveau Molly House Project, une organisation de soutien pour les travailleurs du sexe transmasculins, commente ces protestations : « Pour les mecs cis homosexuels, il y a un besoin désespéré de conserver la dignité pour laquelle ils se sont battus. Si vous osez mettre une vulve à un endroit où ils ont travaillé si dur pour mettre tous [leurs] pénis, ils le voient comme une attaque, comme si vous invalidiez leurs droits. » Trixx ajoute que « les gens sont très protecteurs envers leur communauté, et je le comprends ; cependant, les hommes trans' sont très loin d'être majoritaires dans le porno gay. Notre présence provoque des scandales et une panique généralisée alors que nous grattons à peine à la porte ! »

La stigmatisation à laquelle sont confrontés les hommes trans' dans le porno gay déteint également sur les hommes cis avec lesquels ils partagent la scène. « [Des stars du porno gay] peuvent n'avoir tourné qu'avec des hommes cis pendant toute leur carrière, s'ils tournent avec un seul mec trans, tous les trolls sortent de leur trou : “Oh, mais en fait tu n'es gay que pour le salaire, ou alors c'est que tu es bisexuel, ou quoi que ce soit d'autre” », explique Trixx. « [Ces artistes] ont joué avec des centaines d'hommes cisgenres et soudainement, parce qu'ils tournent avec un homme trans', ils sont accusés d'être bi, ou hétéro… Ce type de réaction est diamétralement opposé à l'idée de simplement se rendre compte que les hommes trans' sont bien des hommes, et que c'est toujours du porno gay, quels que soient les organes génitaux impliqués ! »

Jusqu'à présent, Trixx trouve que l'industrie du porno gay n'évolue pas assez rapidement. Il a en effet assisté au plus gros événement de l'industrie l'année dernière, le GayVN, parfois nommé “les Oscars du porno gay”, où il n'y a qu'un seul prix pour les acteurs transmasc'. Ce prix, en plus de mettre les personnes trans' à part, était dans la catégorie des votes des fans et n'a même pas été remis lors de la cérémonie. L'acteur pense que malgré cela, l'industrie montre certains signes de progrès : « Je suis allé aux GayVN Awards et il y a eu une tonne de discussions sur le besoin d'être plus inclusifs, ou de mieux diversifier le porno gay ; mais à côté de ça, nous ne pouvons toujours pas bosser en studio. »

Belmont ressent la même chose à propos des grands studios. « La plupart des studios sont transphobes, mais les processus de contrôle et de discrimination à l'ancienne sont planqués sous les nouveaux systèmes de paiement par abonnement », dit-il. Belmont a mis le pied dans l'industrie en 2014 : « J'ai eu pas mal de moments très difficiles, ce qui m'a poussé à m'endurcir. Il s'avère que certains hommes homosexuels cisgenres n'ont pas besoin d'excuses pour vous dire à quel point ils haïssent les vagins. Plutôt gênant quand ils ne savent pas que vous en avez un… » Cependant, lui aussi pense que les mentalités dans l'industrie porno évoluent dans le bon sens. « Beaucoup de gens ont dit des choses blessantes mais deviennent peu à peu plus responsables. »

Maintenant que Trixx et Belmont dépendent du porno pour tous leurs revenus, il est devenu encore plus important pour eux. « Le porno ne paie pas les factures », se désole Trixx. Au cours des dernières années, il avait vu ses demande d'escorte augmenter ; mais, à la mi-mars 2020, il cesse de voir ses clients en raison de la pandémie. Il se consacre alors à la production de contenus en ligne, qu'il diffuse grâce à OnlyFans, un site qui a vu beaucoup d'artistes s'inscrire depuis le début de pandémie de Covid-19, ce qui aurait potentiellement fait baisser le taux de rémunération des travailleureuses du sexe – dans tous les domaines.  Trixx y voit son nombre d'abonnés y augmenter rapidement puis plafonner en mai 2020. Il recommence peu à peu à voir des clients fin 2020, mais affirme qu'il n'en prendra de nouveaux qu’après la vaccination.« Ma situation s'est améliorée au fur et à mesure que je comprenais comment me débrouiller avec le contexte sanitaire », explique-t-il. « Même si cela se vend moins bien, j'ai dû me contenter de faire beaucoup de vidéos solo au cours de la dernière année, et je me suis concentré sur le fait d'attirer des abonnés via les réseaux sociaux : cela m'a permis de continuer à payer les factures en créant du contenu. » Il a également publié des vidéos de fitness et des compilations. « Je dois continuer, garder la tête haute et continuer à proposer du contenu. Je vais survivre à ça. » Belmont a lui aussi connu une augmentation du nombre de ses abonnés OnlyFans pendant la crise de la Covid, mais a néanmoins des difficultés financières : « Et si votre artiste préféré vous envoyait un message pour vous demander comment s'était passée votre journée et publiait des vidéos chaudes pour moins que le prix d'un Big Mac ? Vous vous inscririez ! Mais, pour certains d'entre nous, ce revenu n'est pas suffisant. »

Pour aider les travailleurs du sexe trans', le Molly House Project a lancé un fonds de secours COVID-19 en mars 2020. En quatre jours, ils ont reçu 70 demandes et ont été contraints de suspendre temporairement les nouvelles candidatures. Certaines des demandes avaient été émises par des femmes trans : le Project les a poliment refusées, provoquant bien évidemment des contrariétés. Lashun raconte à ce propos : « Elles nous disaient des trucs comme “Ah bah d'accord, vous n'en avez rien à faire des filles !”, ce à quoi nous leurs répondions avec des liens pour sept fonds de soutien spécifiques pour les femmes trans'… Le Molly House Project, celui-ci – celui-ci, là – il est pour nous. »

Alors que les restrictions COVID-19 s'assouplissent, ni Trixx ni Belmont n'ont l'intention de se replonger immédiatement dans le travail d'escorte en personne et à temps plein : « J'ai vu une poignée de clients ici à L.A., principalement à des moments où j'avais besoin d'argent supplémentaire. Je ne reviendrai probablement pas à mon rythme de travail normal tant que je ne serai pas vacciné », dit Trixx. Mais il n'a pas l'intention de renoncer pour toujours au porno en partenariat : il a réalisé son rêve de déménager à L.A. en juillet 2020, et recommence progressivement à tourner dans des films. Il est peu probable que l'industrie du porno grand public, centrée dans la région de Los Angeles, accueille à bras ouverts des hommes comme Trixx sur le court terme ; mais il n'a pas besoin de leur approbation. Il s'est déjà fait un nom dans le monde du porno indépendant, où il a remporté le prix du meilleur interprète masculin transgenre aux Trans Erotica Awards 2021 pour son contenu indépendant, forgeant la vision d'un avenir plus inclusif pour les travailleurs du sexe masculins. Trixx affirme que dans le milieu indépendant, les vieux stigmates s'estompent et sont enfin remplacés par le genre d'acceptation qu'il espère voir se répandre : « Les gars tournent avec des hommes cis, ils tournent avec des hommes trans, il n'y a pas ces mêmes angoisses et ces mêmes limites rigides et inutiles autour de qui ils peuvent ou ne peuvent pas être. »

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isaure

Une personne queer qui aime les chèvres.