Entre l’hiver 1943 et le printemps 1944, les contre-maîtres Jean Moni et Albert Santucci en alliance avec des ouvriers mettent à l’arrêt toute la production d’aluminium.

Anarchisme et sabotage

Traduction 25 juin 2022
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Émile Pouget, syndicaliste révolutionnaire et anarchiste, dans un texte de 1911 intitulé sobrement Le sabotage, fait un retour historique sur la notion de sabotage dans l'histoire : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Sabotage

Les anarchistes voient la pratique du sabotage plus favorablement que les marxistes orthodoxes. Cette catégorie de comportement politique est couramment associée, comme le décrit Pierre Dubois dans Le sabotage dans l'industrie (1979), à trois types d'action industrielle : la destruction délibérée des machines de production, la perturbation du processus de travail ou la cessation du travail productif. Celui-ci peut donc prendre de nombreuses formes, de l'incendie criminel et du vandalisme aux grèves et occupations, en passant par le ralentissement du travail ou le travail sans enthousiasme. Pour la syndicaliste Elizabeth Gurley Flynn (1916), il s'agit de toute action pour laquelle lae travailleur·euse attente délibérément à l'efficacité économique de son travail.

Elizabeth Gurley Flynn (1890-1964)
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Elizabeth Gurley Flynn était une syndicaliste de l'organisation IWW (Industrial Workers of the World).

Cette définition est plus large que celle proposée par Friedrich Engels. C'est l'évaluation critique d'Engels qui a influencé le marxisme orthodoxe, et qui constitue la base de la division entre eux et les anarchistes sur ce sujet. Engels, dans La Situation de la classe ouvrière en Angleterre (paru en 1844), associe le sabotage à un seul élément, la casse de la machine, et celle-ci est communément associée au mouvement Luddite (Thompson 1991:604). Les Luddites étaient majoritairement des artisans opposés à la destruction de leurs moyens de subsistance et de leurs communautés à la suite de l'introduction de la fabrication mécanique des textiles. Pour Engels, le sabotage se situe tout en bas de la hiérarchie de l'action prolétarienne, juste au-dessus de l'activité criminelle et bien loin de l'organisation politique révolutionnaire disciplinée. L'historien Edward Palmer Thompson rejette la caractérisation de l'action des Luddites comme une lutte désorganisée de quelques mécontents engagés dans une tentative futile de faire reculer le progrès. Thompson suggère plutôt que l'action des Luddites était hautement créative, bien organisée, et ciblée sur des sites essentiels du développement capitaliste. Celle-ci a d'ailleurs alimenté d'autres formes de contestation sociale (1991:605-7, 629-30).

Représentation d'un bris de machine

La division entre marxistes orthodoxes d'un côté, et syndicalistes révolutionnaires, socialistes libertaires et anarchistes de l'autre, a continué de modeler les discours sur le sabotage. Les seconds ont considéré le sabotage comme un ensemble de techniques souvent légitimes et créatives, qui permettent aux travailleur·euses de satisfaire leur désir au détriment du pouvoir hiérarchique (voir Convington et al. 2006:189), tandis que les premiers considèrent de telles méthodes comme infantiles et destructrices des intérêts à long terme de la classe (Challinor 1977:96). De telles différences explicitent les différents rapports à l'agentivité (NdT : des travailleur·euses). Le marxisme orthodoxe privilégie l'action unitaire du prolétariat aux ordres du parti révolutionnaire, tandis que les anarchistes privilégient l'action d'un ensemble plus large, sans médiation d'une avant-garde, de sujets opprimés, ce qui inclut les artisans de Thompson.

Cette distinction est aussi un indicatif de la division entre marxistes orthodoxes et anarchistes sur la question d'un monde post-révolutionnaire. Pour les léninistes, la révolution à venir impliquait que le prolétariat prenne le contrôle des moyens de production et les gère de manière à ce que la production réponde aux besoins collectifs plutôt qu'au profit individuel ; par conséquent, on craignait que le sabotage ne détruise les moyens de production qui fourniraient l'infrastructure post-révolutionnaire. Pour les anarchistes, le sabotage signifiait un changement fondamental de la conception de la production, de manière à ce que toute activité productive permette un épanouissement, et non pas attendre un nouveau type de gestion “socialiste”.

Références et proposition de lectures

Challinor, R. (1977) The Origins of British Bolshevism. London: Croom Helm.

Convington, B. et al. (1966/2006) Freedom: The Only Cause Worth Serving. In F. Rosemont & C. Radcliffe (Eds.), Dancin’ in the Streets!: Anarchists, IWWs, Surrealists, Situationists and Provos in the 1960s as Recorded in the Pages of “The Rebel Worker.” Chicago: Charles H. Kerr.

Dubois, P. (1979) Sabotage in Industry. Harmond-sworth: Penguin.

Flynn, E. Gurley (1915/1993) Sabotage: The Conscious Withdrawal of the Workers’ Efficiency. London: Pentagon. Also available online at Industrial Workers of the World, https://archive.iww.org/history/library/Flynn/Sabotage/.

Thompson, E. P. (1991) The Making of the English Working Class. Harmondsworth: Penguin.

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MaddyKitty

Anarchiste. Femme non-binaire et vnr