C'est l'heure de l'anarchisme fol
Source : https://theanarchistlibrary.org/library/vikky-storm-it-s-time-for-mad-anarchism
Autrice : Vikky Storm
Traducteurice: MaddyKitty
Publié initialement: 19 avril 2017
Sur The Anarchist Library, Vikky Storm est présentée comme anarchiste, égoïste et communiste, mais qui n'a aucun préjugé contre les marchés. Elle s'inscrit dans le courant de Max Stirner.
Un autre de ses textes a également été traduit ici, par June Gabriel : https://blog.potate.space/the-gender-accelerationist-manifesto/
Pour la plupart des gens, la maladie mentale est un Autre terrifiant, qui doit être attaquée et stigmatisée. Les malades mentaux sont responsables des tueries de masse. Les leaders autoritaires le sont seulement parce que ce sont des malades mentaux. Soigner la folie signifie l'enfermement ou la médication des fols jusqu'à ce qu'iels soient normaux·les. Mais cette stigmatisation est largement injustifiée. Les fols sont bien plus susceptibles d'être victimes de violence que d'en être les auteurices.
Le fait que nous décrivions ces personnes comme “malades” est le reflet de notre attitude envers elles. Pour les personnes comme moi, et les personnes qui nous défendent, le terme le plus commun est neurodivergent. Nous ne souffrons pas d'une maladie, notre structure neurologique est différente. La médicalisation de la neurodivergence, qui est synonyme de folie, est en soi une pratique violente. Elle crée différentes formes de stigmatisation, comme celles décrites au-dessus. Et au lieu de prendre en compte la neurodivergence, de nous permettre de vivre comme nous sommes, on cherche à nous rendre “normales”.
L'attitude consistant à rejeter la médicalisation de la neurodivergence et à lui attribuer un grand nombre des problèmes typiquement associés à la neurodivergence est connue sous le nom de fierté folle (NdT : mad pride). Tout comme la fierté d'être queer ou noir·e, cela nous aide à être fier/fières de qui nous sommes, malgré la violence sociale que nous subissons. Par cette fierté, nous pouvons assumer notre neurodivergence, plutôt que d'autoriser la société à nous dire que nous sommes malades ou insensé·es. En promouvant la fierté folle, nous pouvons promouvoir une culture qui nous accepte et qui nous prend en compte, plutôt que de nous rejeter ou nous “soigner”.
Cependant, ça ne suffit pas. Tout comme la fierté queer ou la fierté noire ne suffisent pas à résoudre les problèmes auxquels font face les personnes queers ou noires, la fierté folle ne peut pas résoudre tous les problèmes. Afin d'y parvenir, nous devons examiner de quelle façon l’État et le capitalisme nous rendent la société inhospitalière.
J'ai été diagnostiquée d'un trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (NdT : TDA/H), ou encore variation de l'attention et de l'hyperactivité pour celleux d'entre nous qui n'en font pas un trouble. Il m'est facile de voir comment la structure sociale m'affecte et me rend incapable de fonctionner correctement. Le travail et l'école favorisent les personnes neurotypiques. Ils m'obligent à maintenir mon attention sur quelque chose de spécifique et fastidieux des heures durant, tout en me punissant quand je me concentre sur des choses sans rapport avec ces tâches. On m'oblige souvent à rester assise ou ne rien faire, en silence, ce parfois pendant des heures. Mon besoin de mouvement constant m'empêche de le faire, et m'oblige à trouver un moyen pour éviter de rester assise sans être punie. Ces choses me stressent et créent une environnement qui m'est hostile.
De la même manière, d'autres formes de neurodivergence font face à la façon dont le capitalisme et l’État affectent la société.
« Il est dans la nature de l’État de se poser aussi bien pour lui-même que pour tous ses sujets comme l’objet absolu. Servir sa prospérité, sa grandeur, sa puissance, c’est la vertu suprême du patriotisme. L’État n’en reconnaît point d’autre, tout ce qui lui sert est bon, tout ce qui est contraire à ses intérêts est déclaré criminel, telle est la morale des États. »
– Michel Bakounine, Le Principe de l’État
Les personnes autistes, de façon similaire aux personnes avec une variation de l'attention, ont souvent des problèmes pour rester assises : elles ont besoin de se “stimuler”.
C’est un comportement auto-stimulant qui est de nature typiquement répétitive. Le terme “stim” a été introduit par la communauté autistique pour réformer ce qui est généralement appelé par les professionnels “stéréotypie” et décrit dans le DSM-5 comme “mouvement moteur, utilisation d’objets ou discours stéréotypés ou répétitifs (par exemple : simple stéréotypie motrice, aligner ou renverser des objets, écholalie, phrases idiosyncratiques)“.
Source : https://dcaius.fr/blog/2019/04/le-stimming/
Les personnes schizophrènes ou avec des formes apparentes de neurodivergence peuvent avoir des problèmes à comprendre les instructions ou déconcentrer les gens par leurs réactions à leurs hallucinations.
La schizophrénie est une psychose touchant à l’identité. Elle se caractérise notamment par une difficulté à avoir une représentation de soi fonctionnelle, aussi bien une représentation de son corps, que de son esprit.
Source : https://mxdandelion.medium.com/schizophr%C3%A9nie-et-militantisme-d452593d2f0a
Cela interfère avec leur capacité à travailler. Mais aucun de ces problèmes n'est inhérent à notre neurodivergence. Si j'étais capable de me concentrer d'une manière plus adaptée aux personnes comme moi, ou si les autistes avaient des moyens de se stimuler, ou si les schizophrènes pouvaient vivre de leur propre travail sans avoir besoin d'un patron, aucun de ces problèmes ne se poserait.
Et l’État sert à renforcer ces problèmes. La bureaucratie peut sembler ennuyeuse pour les personnes neurotypiques, mais elle peut être presque impossible à gérer pour les personnes neurodivergentes. Les files d'attente, la paperasse sans fin et le besoin constant de devoir compter avec des bureaucrates sont comme des murs pour nous, alors qu'ils sont généralement des obstacles surmontables pour d'autres. La nature bureaucratique de l’État dresse des barrières considérables pour les personnes neurodivergentes, et nous empêche d'obtenir les choses dont nous avons besoin. Bien sûr, cela veut également dire que nous ne sommes pas capables de recevoir les soins de santé mentale que la pression sociale rend nécessaire.
L'anarchisme peut nous aider à résoudre ces problèmes. C'est particulièrement vrai pour pour un mouvement anarchiste qui aurait adopté la bannière de la fierté folle : tout comme il a inclus la libération queer, noire et des femmes dans sa pratique. Dans une société sans État, libérée de la nécessité du travail capitaliste, un grand nombre des problèmes mentionnés pour les personnes neurodivergentes disparaitrait (tant que nous combattons aussi notre ostracisation et notre stigmatisation). En autorisant les travailleur·euses à prendre le contrôle de leur outil de travail, nous permettons aux personnes neurodivergentes de déterminer pour elles-même leur façon de travailler. De lieux de travail plus petits et une industrie décentralisée nous donneraient plus d'autonomie et de maitrise.
En raison de cette convergence entre l'anarchisme et la fierté folle, il me semble nécessaire que nous constituions une sorte d'anarchisme fol, tout comme il existe un anarchisme queer et un anarchisme féministe. Le combat anarchiste ne serait pas complet sans lui.
Pour aller plus loin sur ce sujet, je vous invite à aller lire les camarades de Zinzin Zine :
Ainsi qu'à suivre les articles des camarades Dandelion (https://twitter.com/lyingrain/) :
et Cata-Tonique (https://twitter.com/psssssycho/) :