Transphobie en milieu anar/d'extrême gauche: Partie II

Le pseudo rattachement conceptuel, ou comment taper sur les personnes trans sous couvert de désaccords idéologique.

CW: Transphobie, validisme, psychophobie, racisme....

L’un des points rhétoriques qui va généralement rendre la transphobie « acceptable » de manière générale, est de faire passer la transphobie comme une posture métaphysique. Cette posture générale, a été notamment décrit par Abigail Thorn dans cette vidéo:

Plus particulièrement, l’un des points central de la transphobie est le scepticisme métaphysique. En  passant d’une réflexion métaphysique à une réflexion épistémique ( à savoir en posant des questions du types « Comment sait tu que tel personne est de ce genre « ), les transphobes peuvent ainsi se donner une bonne conscience et une image respectable, tout en répandant leur discours immonde sous l’œil bienveillant des libéraux. Il est intéressant de remarquer que ce point-là reste encore fondamentalement présent dans le discours transphobe chez les anarchistes, mais il se heurte à un réel problème (pour eux) :  ce discours rhétorique classique est incompatible avec une pensée anarchiste et est très facilement repérable en tant que discours transphobe. Afin de s’intégrer au discours anarchiste, ce scepticisme a besoin de se déguiser, à la fois au yeux des personnes reprenant les arguments transphobes en question, et aux yeux des personnes recevant ces arguments.  Ainsi l’idée n’est pas de dire que ces personnes sont des centristes en puissance, ou pensent que tout se vaut, mais que le cœur de cette transphobie n’a pas changé de fond mais juste de forme.

Annexe 1: l'injonction au débat

Ces messages (et beaucoup d'autres ) proviennent tous de la même conversation, où un collectif transphobe a publié une vidéo dégueulassement transphobes et que ces militant.es se sont empressé.es de défendre (tout en rappelant bien qu'iels "ne sont pas d'accord avec tout", ou 'qu'iels ne sont pas transphobe"). Le cadre particulièrement cissexiste dans lequels se pose la discussion (à savoir demander, dans une conversation qui critique la transphobie d'une association, à définir ce qu'est une femme) rend le débat littéralement impossible (et est une bataille perdue d'avance) ou se rejoigne gaslighting, mauvaise foi et surtout injonction au débat. Il résulte que lorsque la personne en face décide d'abandonner (souvent par harcèlement), cela est vu comme une victoire et permet le point principal de ce débat: confirmer et/ou créer le doute... Cela est extrêmement similaire à 2 méthode des fafs, à savoir: controler la conversation/ ne jamais jouer défense.

Pour se rendre acceptable en milieu de gauche, ce refus théorique des personnes trans, va donc se déguiser en argument sur des concepts idéologique et des théories politiques souvent associé à la transidentité et personnes queers de la manière suivante:

  • Une déformation des théories politiques en question, souvent pour les rendre inacceptable pour les anarchistes ne le connaissant pas, ou que de surface.
  • Une confusion et une essentialisation  des personnes queers à ces dits-mouvements

Ainsi, la critique théorique de ce qui, par moments, se rapproche d’une parodie conceptuelle, leur permet à la fois de décrédibiliser ces théories et par association, les personnes trans.  De plus, afin de rendre la position plus facile à défendre, ces militants vont constamment changer de positions entre les 2 points précédents, tantôt précisant qu’ils ne critiquent pas les personnes queers mais les tenants de la théorie en question, tantôt au contraire en rattachant ces personnes queers à la théorie, souvent de manière humoristique  ou psychologisante/psychiatrisante pour cacher la violence de tels propos.

Il me semble important de préciser que cela ne rend pas ces théories incritiquables loin de là. Il est cependant assez intéressant de voir que les critiques/analyses les plus intéressantes ne viennent pas forcément de ces groupe là ( composé en grande partie de personnes cis d’ailleurs) mais souvent de mouvement qui vont l’interroger sous l’angle d’un anticapitalisme transféministe, antiraciste décolonial et/ou antipsychiatrique.

Afin de préciser cela, nous allons lister plusieurs exemples qui sont souvent utilisés contre les personnes queers, et trans plus particulièrement. Cependant, retenez bien que ces attaques ne se limite pas qu'aux personnes trans spécifiquement, mais sont utilisés souvent de manière beaucoup plus diverse, notamment (et souvent de manière conjointe) sur des personnes racisé.es et/ou fol.les.

L’intersectionnalité et la standpoint theory

Ou comment décrédibiliser les accusations de transphobies...

L’un des principaux concepts tordus et manipulé de cette façon est l’intersectionnalité, ainsi que que la standpoint theory (qui sont deux théories différentes, l'une ayant trait à l'épistémologie et l'autre à la manière dont les oppressions se caractérisent socialement et se traversent), souvent mis en relation dans un cadre extrêmement floue d'« identity politics/politique identitaire ». Jouant sur une confusion déjà existante sur ces notions, ainsi que sur la compréhension souvent floue de ces concepts, ils peuvent ensuite facilement déformer ces théories pour les associer quasi systématiquement à « un mauvais comportement militant » dans lequel peut facilement s’inscrire la figure de lea militant.e queer, déjà attaquée dans le même domaine par la droite et l’extrême droite.

 

Au lieu de définir ces concepts, les analyser et regarder comment ils ont pu être déformés et pourquoi, ce qui aurait été en ce cas une analyse pertinente, il n’y a quasiment aucun décalage qui est fait entre les réelles théories en question et leur caricature. Enfin, celles-ci sont souvent assimilées de manière assez simpliste à des concepts "bourgeois" (on en reparlera dans le cadre des théories queers) sans forcément se rendre compte que, s’il sont en effet des termes académiques (et donc propre à être récupérés pas les institutions actuelles), ce ne sont pas du tout les seuls (bien d’autres beaucoup plus répandus  et utilisés abondamment par ces mêmes groupes d’ailleurs) . De plus, ces termes (en particulier le concept d’intersectionnalité) était déjà formulés et pensés avant leur « formulation académique ». Ainsi, si la notion d’intersectionnalité vient en partie de Kimberley Crenshaw, elle provient tout autant d’Audre Lorde, militante noire lesbienne féministe poétesse mère et guerrière.

Bref, si critique de ces concepts il y a, elle est certainement très bien cachée, et même les textes les plus explicatifs ne le sont pas souvent, se contentant de rappeler de vagues définitions, ou de partir du principe que ces concepts sont déjà connus (et vus comme ridicules) .                                                            

Le reproche le plus courant est l’idée selon laquelle l’intersectionnalité et la standpoint theory ramèneraient tout à l’identité, empêchant tout discours constructif et obstruant le dialogue. Il est intéressant de remarquer que l’effet pervers de cet argument, quand enrobé d’idées transphobes, et qu’il va effectivement obstruer le dialogue. Ainsi, si une personne trans fait remarquer qu’il y a des positions transphobes dans l'argumentation, il suffit alors de caractériser cette accusation de transphobie comme l’un des phénomènes critiqués, car ramenant à l’identité de la personne (cela semblera d’autant plus vrai si la personne trans, fatigué.e de devoir expliquer pour la 345efois pourquoi tel arguments est transphobe, aura l’audace de dire à la personne en face qu’iel a une meilleure compréhension de la transphobie qu’ellui /s).

Une personne justifiant un texte, critiqué pour ses relents réac, par la réaction d'indignation qu'elle a provoqués. Dans ce cadre, la critique de transphobie ne peut s'imaginer comme ce qu'elle est (cad une critique) mais comme une réaction identitaire et donc, dans cette logique, à ne pas écouter

L’argument repose cependant sur des versions particulièrement déformée/caricaturale de ces théories. Ainsi la standpoint theory est souvent caricaturée en l’idée qu’étant donné le fait que la personne en face est trans/noir.e/arabe/fol.le etc alors iel aurait forcément raison car « plus opprimé.e ». C’est évidemment complètement absurde, et en aucun cas ce que raconte cette théorie (et bien souvent la personne dont l’avis se trouve caricaturé). L’un des points principaux de cette théorie (et qui est souvent simplifié en un « la parole des concerné.es) est que les personnes qui subissent une oppression sont mieux situés « épistémologiquement » parlant. C’est-à-dire que ce sont les mieux placés pour exprimer et réfléchir sur leur oppression, (principalement en tant que groupe). Ce qui conduit à écouter et laisser la parole aux personnes opprimées pour parler de leurs oppressions et lutter contre celle. D’autant plus que ces paroles sont souvent invisibilisées ou constamment déformées.  Bien sûr, le fait que quelqu’un soit trans ne lui donne pas automatiquement raison (et souvent les personnes trans sont pleinement au courant de ça,entre les tokenisations de personnes comme Caitlyn Jenner ou l’essentialisation constante de leur point de vue comme représentatif de toute les personne trans). Cependant, lorsqu’une personne concernée par une oppression la décrit, et vous décrit comme faisant partie de celle-ci, se mettre sur la défensive et nier est rarement la position la plus sage. Pour plus d'explications, cette vidéo en parle assez bien:

Cette vidéo traite principalement de la différence entre intersectionnalité et standpoint theory

‌‌‌‌De l’autre coté, l’intersectionnalité est aussi déformée, de manière assez similaire. Ce serait un concept qui diviserait le prolétariat (souvent en mettant l’ antiracisme à la place) et amenant les gens à se définir par leur oppression. Cela amène alors l’anar transphobe à critiquer une sorte de « victimisation » et d’« hiérarchie » des oppressions qui détournerait des réels problèmes et créerait un monopole du discours.  Hormis le fait que dans grands nombres d’associations militantes et anars, si monopole de la parole et de l’action  il y a, il est plus le fait de mecs cishet blancs (fait déjà analysé et combattu par les mouvances anarcha-feministes ), cela est en opposition direct avec toute théorie sérieuse de l’intersectionnalité. Non seulement l’intersectionnalité ne cherche pas à créer une hiérarchie d’oppressions, mais elle est particulièrement utile comme analyse des mouvements et structures politiques existante.  La définition souvent utilisée de l’intersectionnalité est que l’intersection des formes de dominations n'est pas juste la somme de ces dominations mais une transformation des deux. Cela peut se voir en effet à l’échelle individuelle (qui dans ce cas là est rarement une échelle individuelle, mais plutôt le vécu  quotidien)  mais bien évidemment sur les institutions qui gouvernent nos vies. De plus, même si elle est souvent vue appliqué sur les personnes opprimée, elle peut parfaitement l’être pour n’importe qui, ou n’importe quel institution. Plus encore, elle permet d’analyser ce fameux monopole du discours et d’y révéler rapports de pouvoirs et donc de faciliter un discours plus horizontal. Par exemple, le fait qu'un nombre important de personnes trans soient précaires (en particulier des personnes trans racisé.es) et donc font partie de ce fameux prolétariat serait particulièrement utile à cette conversation. Mais en n’abordant l’intersectionnalité (ou plutôt cette caricature de l’intersectionnalité) que sur l’angle individuel et de la personne qui l’utilise (qui alors se victimiserait/serait dans une posture de ressenti etc) et en luttant activement pour empêcher toute vision de l’intersectionnalité plus large de se développer (on y reviendra), cela permet de faire de la personne qui porte cette vision (souvent une personne trans/ racisé.e) un vecteur d’embourgeoisement de l’anarchisme et une figure contre-révolutionnaire qu’il devient acceptable de harceler et de décrédibiliser, sous ce prétexte.

L'intersectionnalité est ici opposé à la lutte des classes, et est vu (parmi d'autres trucs) comme un vecteur de fausses accusation de bigoterie

Annexe 2: critiques de l'intersectionnalité et fausses accusations

Les images ci-dessus proviennent d'un texte de personnes critiquant le fonctionnement d'une asso anarchiste que je ne nommerai pas. Ce court paragraphe n'a pas pour objectif de défendre l'asso. Celle-ci est critiquable à bien des égards, et l'article est sur la transphobie à la base (qui se manifeste aussi dans cette asso, comme toute asso d'extrême gauche!). Ce que je cherche à faire, c'est avant tout une analyse des mécanique réactionnaire à l'oeuvre dans ce texte, en particulier ceux de la transphobie. Déjà, il est intéressant que l'intersectionnalité (ainsi que le post modernisme, que nous évoquerons une prochaine fois) sont les principaux concepts évoqués comme motifs de séparation. En apparence, rien de transphobe, sauf que bien évidemment, les exemples évoqués sont évidemment particulièrement réactionnaire. Entre "les fausses accusations",et la réthorique évoqué dans le paragraphe précédent (comme si l'intersectionnalité ne cherchait pas à articuler spécifiquement les luttes!), les conséquence, et le projet politique porté par ce texte semble quand même se rapprocher particulièrement d'une asso luttant exclusivement contre le capitalisme, ne cherchant effectivement pas à articuler les luttes ensembles (d'ailleurs ne proposant pas de modèles alternatifs, se contentant d'un simple, "tout les prolétaires ont intérêt à lutter contre le racisme/sexisme..., ce à quoi pas mal de militant.es féministes et antiracistes aurait à redire), et surtout ne cherchant pas à lutter contre les dynamiques patriarcales et suprémacistse blanches en son sein. L'argument final est frappant: "Il est pourtant évident que si celles-ci[les accusations] étaient fondées, des procédures d’exclusion auraient été mises en œuvre."

Il n'est d'ailleurs pas anodin que cette lettre a été repris, pour en faire une critique contre le "wokisme militant" et autres termes d'extrême droite...


L’humour est quotidiennement utilisé pour justifier ce harcèlement. En prenant et visibilisant des situations jugés ridicules (souvent d’appropriation par le système capitaliste de problématiques LGBTQIA+) sans s’interroger sur la pertinence de leur exemples ou sur la cible de leur humour (qui est bien souvent la personne queer/trans/nb), cela leur permet d’affirmer leur portrait caricatural sans se préoccuper de le justifier et/ou d’éviter de se faire attraper pour transphobie (technique qui bien que vu et revu reste malheureusement très efficace). Cet humour transphobe n’est cependant pas sans conséquences malheureusement, ayant déjà conduit au harcèlement d’une personne trans précaire qui aura l’audace de parler d’un patriarcat blanc (retraçant une pensée à l’échelle institutionnelle de l’intersectionnalité, qui contrairement à ce que ces militants transphobes pensent n’est pas idiot du tout)

Ce tweet à donner lieu au harcèlement d'une persone trans, par des anars mais aussi, par des fachos, des tankies, des terfs... La transphobie est transpartisane malheureusement....
Il est intéressant de remarquer que quand quelqu'un proche de ces groupes militants fait remarquer l'utilité de l'intersectionnalité, ou la transphobie de certaines personnes, voici le genre de message qu'il reçoit... L'excuse n'est jamais une option, et montrer de la vulnérabilité est une faiblesse...

Bref, il ne s’agit pas d’une simple critique des outils théorique que ce sont ces notions, mais  bien une déformation transphobe de ces théories sur lesquels des militants vont se baser afin d’harceler et se moquer des personnes trans.

J'espère avoir pu, dans cet article, aider à discerner les manières dont ces fameux militants vont s'emparer de la critique de l'intersectionnalité pour en faire une arme réactionnaire dirigée entre autre, mais pas que, contre les personnes trans.  Je tiens aussi à répéter, afin que ce soit clair, que ça ne signifie pas que l'intersectionnalité est incritiquable, mais plutôt qu'il y a une critique réactionnaire de l'intersectionnalité que ces militants utilise abondamment. Il est aussi important de comprendre que la transphobie est aussi critique, est qu'elle n'est pas moins valide parce qu'elle touche à l'identité des personnes (en même temps, qu'est ce qui n'y touche pas?). Maintenir les questions transféministes en marge des mouvements anarchistes ne peut selon moi, qu'aboutir à une pauvreté critique des mouvements, et à des associations  crées par et pour des hommes cishet blancs. (Cela est d'ailleurs valable pour toute autres formes de luttes d'ailleurs)

Ajout de @Maddy : ce qui surprend avec l'utilisation du concept dit "bourgeois", c'est l'utilisation déjà présente d'un point de vue épistémologique. Si celui-ci est nécessaire, alors comment la légitimité est-elle construite dans les théories de la connaissance, tout autant que dans la constitution d'une hiérarchie "militante" ?

Pour continuer

Quelques ressources sur l'intersectionnalité,la standpoint theory et autres

Voici queqlques vidéos/textes/sites qui parleront de l'intersectionnalité, et d'autres concepts associés, bien mieux qu'ici:

Une explication rapide de ce qu'est l'intersectionnalité, par Naya Ali
Une analyse de comment les féminismes,(dont le féminisme intrsectionnel) traitent la question de la lutte des classes, par antipatriarcame

Carnets Lesbiens qui réalise des réflexions très intéressantes sur le lesbianisme, l'intersectionnalité, l'antiracisme et le féminisme: https://carnetslesbians.wordpress.com/blog/

Cet article de bell hooks, qui parle de l'intersectionnalité, et de ses perspectives militantes: https://blog.potate.space/comment-pratiquer-intersectionnalite/