Rhétorique de « l’asexualité n’est pas une maladie » et perspectives anti-psychiatriques
On peut voir la rhétorique de « l’asexualité n’est pas une maladie » comme héritière des revendications des mouvements gays des années 70 et de celles actuelles du mouvement trans : la dépsychiatrisation. C’est-à-dire une attaque à l’encontre de la classification psychiatrique de la variance au niveau du genre et de l’orientation sexuelle.
Si les luttes gay ont effectivement abouti au retrait de l’homosexualité du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), ce qui est une grande victoire pour les droits gays, bis et lesbiens, elle pose la question de ce qu’est la maladie (ce qui doit être soigné) et donc en miroir, de ce qu'est le sain.
C’est une question qui revient très souvent lorsque le thème de la pathologisation de l’asexualité est abordé, et on voit qu’il existe encore des tensions comme « comment faire la différence entre ce qui relève de l’asexualité d'un coté, ou d’un problème de libido qui serait le symptôme d’une maladie (physique ou psychique) de l'autre ?». Ces tensions révèlent, selon moi, que l’on a encore du mal à se figurer les limites de l’asexualité, de quelle absence de sexualité ou envie de sexualité serait pathologique ou non. Si le critère de la détresse ou de la souffrance induite par le manque de désir sexuel est avancé pour séparer l'asexualité, saine, du Trouble du Désir Sexuel Hypoactif (TDSH), pathologique, comment différentier la détresse "vraiment" pathologique de celle que l'on peut ressentir lorsqu'on n'arrive pas ou plus à faire du sexe, ressentir du plaisir sexuel ou face aux stéréotypes et questionnements insistants sur la vie et pratiques intimes des asexuel-le-s ? Penser qu'il existerait des symptômes psychiatriques préexistant aux normes et à l'environnement social dépolitise les problématiques de la santé mentale et de la perception des sexualités non-hétéro dans notre société et s'avère donc être une impasse pour discriminer efficacement une "vraie" asexualité du TDSH. Cet état de fait devrait au moins nous permettre questionner la pertinence de cette limite sain/pathologique concernant l'asexualité, même dans le cas du manque de désir comme "symptôme" d'une autre maladie. Ces questions, souvent éludées, gagneraient plutôt à être analysées et comprises via un angle anti-psychiatrique.
Car ultimement, c'est l'appréciation du psychiatre posant son diagnostic qui fera autorité. C’est-à-dire, une personne en position de pouvoir sur lae patient-e, particulièrement dans le cas d’une hospitalisation sous contrainte. Il est important de comprendre ici la psychiatrie comme une institution totale, qui rythme, s’immisce dans et scrute tous les aspects de la vie du/de la patient-e, pour pouvoir lae « soigner ». Pour le dire autrement, comme ont pu le montrer des expériences comme celle de Rosenhan ou l'enquête plus récente de Mougeot, la psychiatrie va pathologiser l’entièreté de la vie du/de la patient-e, même des aspects situationnels (parfois dus à l’institution elle-même), individuels ou culturels. Ce n'est donc pas un problème de professionnels de santé non sensibilisés, ou aroacephobes, mais un problème structurel, qui questionne le pouvoir psychiatrique dans son ensemble.
C’est pour cela que je pense que l’on gagnerait à revendiquer que le manque de sexualité, de désir sexuel ou d’envie de sexualité ne devrait jamais être un objet de pathologisation, d’abord parce que cela entre directement en contradiction avec l’assertion féministe « on ne doit du sexe à personne, dans aucune circonstance »; ensuite parce que les personnes aro/aces NAPA et particulièrement psychiatrisées ne pourront pas bénéficier d'une « dépathologisation » partielle de l’asexualité à cause de l’arbitraire de l’institution psychiatrique. Cette victoire se ferait donc aux dépends de celleux dont les parcours et l'auto-définitions ne rentrent pas dans le moule du "sain", similairement aux réactions hostiles que peuvent subir les personnes xénogenres, neurogenres, trans folles, trop loin des attentes cissexistes et psychophobes qui ont pu permettre aux personnes trans de négocier des droits précaires, sans ébranler réellement la psychiatrie.
Que devrait-on faire du coup ?
On peut se rendre compte des limites du slogan « l’asexualité n’est pas une maladie », en ce qu’il n’interroge pas les notions de maladie/de sanité, et qu’il n’est donc utile qu’aux personnes aro/ace non-psychiatrisées/institutionnalisées. Est-ce que le mépris, les restrictions de liberté, de droits ou des mises sous tutelle « préventives » sont ok si les personnes sont « vraiment » malades mentales ? C’est le sens de la conclusion de l'article « L'histoire queer, l'histoire folle et l'aspect politique de la santé »
De façon appropriée ou non, les gens SONT discriminé·es comme étant des malades mental·aux. À tort ou à raison, [...] deviennent des parias. Si nous permettons à l'étiquette de la maladie de se maintenir, nous aurons alors deux batailles à mener – celle de la lutte contre les préjugés à l'égard des homosexuel·les en soi, et celle de la lutte contre les préjugés visant les malades mental·aux - et nous serons deux fois parias et exclu·es. Une seule bataille de ce type suffit.
Des points de convergences existent entre les luttes contre la pathologisation des aro/aces, des LGBTI, et contre l’institution psychiatrique au sens large. Dans une optique de convergence des luttes, il faut prendre en compte la réalité de toustes les aro/aces, en mettant en avant les paroles précieuses des aro/aces psychiatrisé-e-s et opprimé-e-s sur plusieurs plans. On peut aussi se renseigner sur ce courant fécond qu’a pu être (et qui je l’espère, le sera encore) l’anti-psychiatrie, loin des préjugés d'une opposition bête et méchante, d'une méconnaissance ou de l’« anti-soin ».
Aromantiques, asexuel-le-s et autres gender chelou-x-e-s contre la psychiatrie !