Pour une suppression de la mention de sexe à l'état civil
Merci aux personnes qui m'ont aidé à la relecture, et surtout à Alex qui m'a apporté des éléments de précision.
La transition administrative est un parcours long, tout aussi difficile et éprouvant que la transition physique quand on prend des hormones.
“La cause majeure de la transphobie est l’existence de catégories de genre, et leur omniprésence en tant que critère de catégorisation des populations fondé sur des données anatomiques — une norme sociale qui est pour le moment inévitable dans toutes les démarches administratives, juridiques, médicales, ainsi qu’interpersonnelles. C’est cela qui rend les vies de personnes trans insupportables et, à certains moments, invivables. Ce qui est une vraie source de problèmes, ce sont les cases F ou M : y entrer est obligatoire si nous voulons exister au sein de cette société.”
– Ali Aguado et Ian Zdanowicz, membres d'OUTrans
Devant le constat du consensus supposé sur le changement déjudiciarisé, ou "autodéterminé", de la mention de sexe à l'état civil, j'aimerais proposer un autre son de cloche.
Dans cet article, je vais d'abord rappeler ce qu'on appelle une "transition administrative", ses modalités. Ensuite j'indiquerai pourquoi on le fait, et enfin pour quelle raison cette proposition est insuffisante d'un point de vue émancipateur.
Qu'appelle-t-on transition administrative ?
C'est le fait de modifier notre prénom de façon administrative et la mention de sexe inscrite à l'état civil.
Outre les procédures auprès de la mairie et de la justice, celles-ci entrainent un certain nombre de démarches par la suite : contacter individuellement chaque administration publique ou privée afin que les changements soient répercutés.
Comment procéder ?
En France, il y a trois procédures :
- On peut changer de prénom directement en mairie, avec dépôt de dossier, sur rendez-vous avec un agent de l'état civil.
Le dossier est simple. Il consiste en une liste de prénoms, ainsi qu'une explication quant à la nécessité de changer de prénom. Normalement, aucune pièce n'est demandée. Selon les mairies, il n'est pas rare que l'agent de l'état civil demande des justifications supplémentaires au prétexte d'accélérer la procédure (justification d'un parcours hormonal, témoignages, ou autre).
- On peut faire une demande de changement de la mention de sexe auprès du tribunal judiciaire, avec dépôt de dossier.
Depuis 2016, ce dossier ne comporte plus de justificatif médical indiquant qu'une "réassignation sexuelle" (ou génitale) a été effectuée. Ce dossier est surtout une compilation de témoignages où l'entourage confirme connaitre la personne sous son "nouveau sexe".
- On peut effectuer les deux changements en même temps auprès du tribunal judiciaire.
Pourquoi changer son état civil ?
Cette mention de sexe pose problème dans certaines démarches. C'est un marqueur présent sur la carte vitale, sur la carte nationale d'identité, sur le passeport ou encore sur le titre de séjour (qui équivaut à une pièce d'identité).
Violences médicales
Il peut induire des formes de violence auprès du médecin (avec ou sans changement). Un simple examen pour un problème médical peut radicalement changer pour peu que la prise en compte d'une non-conformité de genre apparaisse.
Exemple : le fait de devoir procéder à un examen de la prostate en étant une femme trans* n'implique pas la même chose que pour un homme cis*. De la même façon, le passage par le cabinet gynécologique n'implique pas la même chose pour un homme trans* que pour une femme cis*.
Si la suppression ne peut pas tout régler, elle peut au moins oblitérer certains aspects. Par exemple, il y a des cas où le changement d'état civil implique de ne plus recevoir les propositions médicales liées à l'état civil et donc perdre la possibilité de se voir rembourser certains actes.
« [L]a Sécurité sociale continue de catégoriser les soins gynécologiques et obstétriques (donc leur remboursement) comme étant dispensables uniquement aux personnes munies d’un numéro de sécurité sociale débutant par un « 2 » – attribué aux femmes. À ce jour, les soins gynécologiques dispensés aux hommes n’existent administrativement pas, entraînant parfois des problèmes d’accès supplémentaires. »
Pour les hommes trans*, le changement d'état civil les exclut d'office des parcours PMA, alors que la loi a été modifiée en faveur des couples de femmes cis*, ou femme cis/femme trans avec changement d'état civil (sauf dans le cas de couples considérés comme hétérosexuels).
Mais les violences médicales peuvent avoir lieu beaucoup plus tôt. Pour les personnes intersexes, afin de coller à l'un ou l'autre des "marqueurs de sexe", elles peuvent subir des violences médicales allant de la prescription d'hormones (sans consentement) à des chirurgies (souvent présentées comme nécessaires et positives auprès de parents qui se conforment souvent à l'avis de l'autorité médicale). Cette conformation pourrait diminuer en supprimant la nécessité de se référer à l'un ou à l'autre "sexe" (il est cependant nécessaire de lutter directement contre les violences médicales sur le public intersexe).
Discriminations au travail
Le sexisme n'existe pas qu'en fonction de notre apparence. Il existe également en fonction de l'interprétation d'autrui, tout comme pour le racisme.
Se présenter comme femme ou homme alors que notre carte d'identité, ou encore notre numéro de sécurité sociale, indique le contraire, c'est risquer de subir une discrimination à l'embauche.
Bien sûr, ce n'est qu'un élément qui alimente le cis/sexisme. On n'abordera pas ici la question de la discrimination au travail lorsque la personne est déjà sur place et doit faire la démarche de se présenter sous sa nouvelle identité à ses collègues.
Violences policières
De même, la mention de sexe à l'état civil peut induire différentes violences auprès de la police. Une interpellation peut changer entre le moment de l'interpellation et la présentation des papiers d'identité. Une garde à vue peut passer de la privation temporaire de liberté à l'humiliation en bande organisée, etc.
Est-ce que la proposition reprise par la gauche est suffisante ?
Il est évident que devoir se présenter devant un tribunal est une épreuve difficile. Un jury se réunit pour décider si oui ou non, les faits présentés requièrent un changement.
Tout comme les démarches en psychiatrie, il est nécessaire de devoir composer avec les inclinations patriarcales. Il nous faut donc adapter nos comportements pour faciliter l'acceptation de notre requête.
Le changement d'état civil en mairie faciliterait au moins en partie la transition administrative.
Alors pourquoi demander autre chose ?
Le problème du changement d'état civil
L'état civil est producteur de normes. Celui-ci informe sur une soi-disant qualité propre à l'individu qui en est porteur. La mention de sexe informerait donc sur le fait que vous soyez une femme, ou un homme.
« Au XIXe siècle, on devait présenter le nouveau-né à l’officier d’état civil pour qu’il puisse constater de visu son sexe. L’idée était notamment d’éviter que les garçons, futurs soldats, n’échappent à la conscription car, dans une France rurale, certaines familles n'auraient pas hésité à déclarer un garçon comme étant une fille pour qu’il reste travailler aux champs »
– Philippe Guez
« En 1804, le Code civil de Napoléon établit des droits et des devoirs différenciés pour les époux. Les femmes ne peuvent travailler sans l’autorisation de leur mari ni toucher un salaire, elles ne peuvent pas non plus gérer leurs propres biens…
Et en ce sens, il s’agit bien d’un élément fondateur de l’organisation sociale »
– Diane Roman
L'avis du médecin suffit maintenant pour indiquer le sexe. Dans les deux cas, la mention de sexe procède de la génitalité comme base légale.
En France, depuis 2016, le changement de prénom est déjudiciarisé :
L’article 56 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, publiée au Journal officiel du 19 novembre 2016, déjudiciarise la procédure de changement de prénom en la confiant à l’officier de l’état civil, le juge aux affaires familiales ne conservant qu’une compétence résiduelle lorsque le procureur de la République s’est opposé à la demande de changement de prénom.
De la même façon, il n'est plus nécessaire de présenter un avis médical (à savoir la réassignation des organes génitaux). La procédure de changement d'état civil est dite "simplifiée et démédicalisée", mais reste soumise au domaine judiciaire.
Outre le problème intrinsèque aux dimensions du genre comme système oppressif, le fait d'avoir la possibilité de le changer n'a aucun intérêt émancipateur.
Si la mention de sexe à l'état civil a un peu perdu de son importance aux yeux de la loi, celle-ci reste essentielle dans le domaine de la filiation, par exemple.
De plus, le fait même qu'elle existe implique de procéder à un changement.
En outre, si le changement de la mention de sexe ne se fait plus sur la base de la génitalité (relativisant de fait une des dimensions du "sexe"), il reste qu'il se base sur les caractéristiques sexuelles secondaires : pilosité, forme du corps, tonalité vocale, proéminence de la pomme d’Adam, et même si elle n'y est pas directement liée biologiquement, la coiffure.
De plus, le changement implique de pouvoir présenter son consentement. Il y a donc des personnes qui de fait ne peuvent pas le présenter : un mineur (catégorie juridique) n'est pas présenté comme consentant. On peut inclure dedans toute personne qualifiée comme incapable de donner son consentement devant la loi : personnes sous tutelle, personnes en institution psy/sociale.
Que changerait le passage en mairie ?
Nous nous retrouverions dans la même situation que pour le changement de prénom. Si la démarche est plus accessible, voire même plus rapide, reste à charge de l'agent de l'état civil d'accéder à notre demande.
Le fait de devoir vérifier si telle ou telle mairie accepte d'accéder plus facilement à notre demande nous laisse à la merci de l'agent représentant l’État.
Et la mention de sexe neutre ?
Il a été proposé d'ajouter une mention de sexe neutre. L'introduction d'une telle donnée n'a rien d'inédit. En effet, l'Allemagne, mais aussi l'Australie, ont reconnu l'existence d'un tel "neutre".
Cette décision pourrait avoir un impact social conséquent, tout comme entrainer son lot de discriminations propre.
Si de prime abord, cela semble une bonne idée, ce sont les conséquences qu'on doit mesurer.
Puisque les espaces sociaux sont genrés, un sexe neutre implique de nouvelles ségrégations spatiales. Des toilettes "neutres", des vestiaires "neutres", des espaces "neutres", etc. Si les espaces sociaux genrés sont parfois vus comme une solution positive, la réalité de cette ségrégation spatiale amène davantage à une socialisation marquée par cette ségrégation qu'à l'égalité.
Imaginons quelqu'un rentrer dans un espace "neutre", il est immédiatement reconnu comme tel. Ce genre de cérémonial, qui parait "naturel" pour beaucoup, ne l'est pas pour les personnes qui ont déjà connu des violences dans de tels espaces. La non-conformité de genre est toujours susceptible de punition.
Suppression de la mention de sexe à l'état civil
Il faut donc poser une proposition qui n'a pourtant rien de radical : suppression pure et simple de cette mention.
Le changement ne sera donc plus nécessaire, il n'y aura plus de trace d'un changement, et nous ne serons plus à la merci des administrations publiques et privées quant aux différentes démarches entreprises.
Augmenter la demande de la gauche
On peut tout de même améliorer la proposition de changement déjudiciarisé de la mention de sexe.
Il faudrait réduire le nombre de documents comportant ladite mention. Ainsi, le changement, actuellement nécessaire pour éviter certaines discriminations, perdrait de son sens.
Les titres les plus importants étant les papiers d'identité, il est nécessaire que la CNI, le passeport et le titre de séjour ne figurent plus cette mention.