Le mouvement détrans ne serait-il pas un nouveau phénomène "ex-gay" ?
Texte original: Political Detransitioners Are The New Ex-Gays
Auteurice: Erin Reed
Traducteurice: Al Loustoni
Publié initialement: 7 décembre 2022
"On vous a menti. Vous n'êtes pas né-e-s comme ça, et vous pouvez guérir. Combien d'entre vous dans cette salle ont été sexualisés avant l'âge de 18 ans ?" Un homme se tient dans une salle. Il explique à une foule de personnes que c'est la sexualisation précoce qui les a redues LGBTIA, que cette identité ne fait pas partie d'elleux de façon innée. Vous pensez qu'il s'agit d'un argumentaire sur le "grooming" et " les enfants trans dans les écoles" ? Ces propos sont en fait issus d'un documentaire de PBS de 1998 sur les ex-gays. Près de 25 ans plus tard, nous entendons des arguments similaires de la part de détrans militant-e-s (des personnes qui ont fait une transition puis sont revenues à leur genre assigné) qui défilent devant des commissions de médecins. Des personnalités de droite comme Matt Walsh en ont fait un élément central de leur campagne visant à s'opposer à toute forme de prise en charge trans friendly et à refuser des droits à toutes les personnes transgenres; et ce, même si une large majorité des personnes transgenres ne regrettent pas du tout leur transition. La surexposition des quelques rares personnes qui détransitionnent pour attaquer toutes les personnes transgenres fait écho aux années 1990 et au début des années 2000. Il est temps de reconnaître ce mouvement pour ce qu'il est : une nouvelle itération du phénomène ex-gays.
Au plus fort des amendements constitutionnels de 2005 contre le mariage pour tous, vous pouviez lire sur le site web du groupe Exodus International que l'homosexualité est causée par: "un sentiment d'être un étranger parmi ses pairs pendant l'enfance et l'adolescence [...il y a des] cas d'abus sexuels". Leur page contenait plusieurs témoignages de personnes qui affirmaient que leur identité LGBTIA était dû à des abus sexuels, à la consommation de porno, à des parents absents, ou aux "pressions à être féminin" et au fait de ne pas vouloir être une fille. Le mouvement des détrans réactionnaires mobilise aujourd'hui toutes ces idées pour tenter de refuser de reconnaitre légalement l'existence des personnes trans et mettre fin à des prises en charge permettant aux personnes transgenres de transitionner. L'un des directeurs du Genspect, le groupe qui est en partie responsable de l'interdiction des parcours de transition en Floride, a affirmé que le fait d'être transgenre est induit par la pornographie. Les parents du ROGD ont affirmé que le fait d'être transgenre peut être causé par un traumatisme sexuel, des problèmes dans l'enfance et le harcèlement scolaire.
Si on se fit à ce que l'on lit aujourd'hui dans les espaces de droite, le "groming" serait l'une des principales causes de transidentité. Les personnes LGBQTIA sont accusées de conditionner les enfants et de les "rendre trans". Les enseignant-e-s sont particulièrement mis-e-s en cause. Ce phénomène n'est pas propre à l'époque moderne. En 2001, l'une des principales "causes" de l'homosexualité, selon le mouvement ex-gay, était que les "conversions". Dans l'étude "Crafting bi/homosexual youth", les gays sont accusés de "convertir" les enfants hétéro. Ces militant-e-s ont même utilisé les arguments de le l'autorité parentale contre les personnes LGBTIA dans les écoles, c'est du recyclage !
Les témoignages sont également similaires - par exemple, c'est parce qu'elle estime c'était un traumatisme qui l'a poussé à transitionner, que cette une femme détrans demande devant le conseil de médecine de Floride de mettre en place une politique de détransition forcée pour toustes les adolescant-e-s trans. Elle ajoute que c'est le fait de "trouver Dieu" qui l'avait amenée à détransitionner. Le conseil de l'ordre des médecins de Floride a ensuite voté en faveur de la fin des parcours d'affirmation du genre pour les jeunes trans - des membres du groupe Genspect mentionné plus haut faisaient partie du panel interrogé. Après la réunion, ce groupe de militant-e-s détrans et leurs partisans ont immédiatement pris l'avion. En effet, iels ont influé sur la législation d'un état qui n'est même pas le leur...
Il est important de noter que la détransition est incroyablement rare, et que la plupart des personnes qui se détransitionnent finissent par se retransitionner. D'après une étude de 2015, 8 % des personnes trans ont déclaré avoir détransitionné, mais 62 % se ont ensuite retransitionné vers un genre différent de celui qui leur a été assigné à la naissance. Parmi les principales raisons de la détransition on retrouve la pression exercée par un parent. Seulement 0,4 % des personnes ont fait une détransition après avoir réalisé qu'elles "n'étaient pas trans". Dans une autre étude publiée dans The Lancet, la détransition était tout aussi rare, puisque seulement 2 % des jeunes transgenres ont changé d'avis cinq ans plus tard. Une étude menée en Australie a montré que 96 % des jeunes transgenres restaient transgenres à l'âge adulte. Moins de 1 % des patient-e-s d'une grande clinique britannique spécialisée dans les questions de genre ont arrêté leur transition à l'âge adulte - sur 3 398 patients, seuls 16 ont exprimé un regret vis à vis de leur transition. 10 de ces 16 patients ont détransitionné de façon temporaire et sont redevenus transgenres par la suite. Une étude publiée dans la revue Pediatrics a noté que 5 ans plus tard, seuls 2,5 % des jeunes se désistent. Il ne nous reste qu'une seule conclusion à tirer : la détransition est rare et temporaire. Pourtant, les voix des personnes détrans obtiennent des tribunes extrêmement larges dans les médias conservateurs, comme les ex-gays au début des années 2000.
Récemment, LGBTQ Nation a publié un article qui s'intitule "La tête de proue du mouvement "détrans" fait à nouveau son coming out transgenre". Ky Schevers était autrefois une voix majeure du mouvement détrans et donnait de nombreuses interviews dans des blogs TERF. En 2000, cependant, elle a retransitionnée et s'exprime aujourd'hui contre la récupération politique de la détransition, phénomène auquel elle a participé. Elle parle de l'utilisation d'outils développés pour traiter l'addiction, comme les programmes en 12 étapes, qui étaient au cœur du mouvement ex-gay dans les années 90 et au début des années 2000. Ky elle-même fait ce parallèle, "cela ressemble beaucoup aux communautés ex-gay où on parle du fait que les gens "changent" et que c'est génial et tout, mais personne ne change vraiment. Iels apprennent à garder leurs désirs sous contrôle".
C'est important de mettre en avant que les histoires des ex-gays finissent souvent comme celles des personnes détrans. L'histoire de Ky n'est pas unique. La plupart des fondateurs et des dirigeants qui ont pris part à Exodus International sont depuis redevenus gays, maintenant que l'homosexualité est mieux acceptée. Bien que le mal soit fait, il y a des leçons à tirer de l'histoire du mouvement ex-gay et elles peuvent se transposer aux enjeux actuels autours de la transidentité et des droits trans. L'exploitation et la surreprésentation des témoignages de personnes qui rejettent leur identité trans passée, souvent sous la contrainte, ne devraient pas être utilisées pour remettre en cause des droits - d'autant plus que nous savons que tant d'entre elleux redeviennent trans. Les thérapies de conversion ne fonctionnent pas et ne font qu'empirer les choses - les jeunes LGBQTIA soumis-e-s à des thérapies de conversion ont 250 % plus de risques de se suicider.
Les personnes trans méritent notre amour et notre soutien. Nous devons aider celleux qui sont coincé-e-s dans des situations où iels ont l'impression de devoir détransitionner pour des raisons de sécurité ou parce que leur famille ne les accepte pas. Certaines personnes se rendent simplement comptent que la transition ne leur convient pas, et elles doivent également être aidées. Le parcours de chaque personne en matière d'identité et d'expression de genre est unique. Le problème est uniquement du coté des militant-e-s réactionnaires qui estiment que leurs expériences sont généralisables à toustes les autres et qu'iels doivent s'exprimer publiquement ou lors d'audiences pour empêcher toustes les autres de transitionner. Ces personnes sont malheureusement utilisées de la même manière que les ex-gays au début des années 2000. Nous devons marteler que ce mouvement n'est rien de plus qu'une nouvelle itération du phénomène ex-gay.