Pourquoi je n'utilise pas le terme “passing hétérosexuel”

Source: Why I Don’t Use the Term “Straight Passing Privilege”

Auteurice: Jules Rylan

Traducteurice: MaddyKitty

Publié initialement: 27 novembre 2017

Note de traduction : en France, le terme ‘passing hétérosexuel’ est utilisé. J'ai hésité à le traduire, mais je reprendrai ces sujets dans un article.

Un mot sur Jules Rylan ? C'était une personne que je suivais avec plaisir sur twitter, mais qui a désactivé son compte à force de harcèlement de la part de différents groupes en ligne. Cependant, son blog est encore disponible, n'hésitez pas à aller le lire.


Le consensus autour de l'expression “passing hétérosexuel” (NdT: autrement dit le fait d'être perçu·e comme hétérosexuel·le) varie beaucoup, mais il s'efforce généralement d'expliquer comment certains individus et couples apparaissent hétérosexuels à d'autres, et de ce fait, peuvent obtenir des privilèges. A première vue, le terme semble utile. Si une femme bisexuelle et un homme pansexuel veulent adopter un enfant, iels ne rencontreront peut-être pas les mêmes obstacles qu'un couple lesbien en raison de leur genre. Cependant, même dans cette hypothèse, il y a de nombreux détails qui peuvent affecter le résultat. Ces personnes sont-elles trans ? Sont elles en non-conformité de genre ?

Mon problème avec l'expression “passing hétérosexuel”, ce n'est pas tellement qu'il n'y a pas de bénéfices inhérents à apparaitre hétérosexuel·le à des yeux extérieurs. Il y en a bien sûr. Vous êtes plus en sécurité dans la rue, vous pouvez voyager dans tous les pays, et vous pouvez tenir la main de votre partenaire plus facilement. Cependant, s'il y a des bénéfices à ne pas sembler gay, il y a aussi des inconvénients à vivre dans ces limbes, parce que vous n'êtes pas hétérosexuel·le. Dire que l'expérience d'être perçu·e comme hétéro est un privilège général, c'est ignorer l'expérience vécue par de nombreuses personnes multisexuelles*. Cela signifie également que les personnes LGBTIA+ qui ne sont pas dans une relation de même genre sont automatiquement considérées comme hétérosexuelles par le monde en tant qu'individus ou au sein de leur couple. Le fait  de passer pour hétérosexuel·le a également une interaction plus profonde avec la non-conformité de genre, ce qui devient encore plus compliqué lorsque vous prenez en compte la transidentité.

J'aimerais qu'on ait de meilleurs termes pour discuter des expériences diverses des personnes LGBTIA+ lorsqu'il s'agit de faire face aux oppressions.

La non-conformité de genre joue un rôle énorme. Cependant, nous n'avons pas vraiment de mots pour parler de celle-ci dans un sens inclusif et constructif. Si on me regarde étrangement dans les toilettes, ça peut être par homophobie, ou parce que mon genre est lu comme ambigu. Les personnes considèrent souvent que la non-conformité de genre est automatiquement gay, ce qui, dans un sens, peut être vrai pour moi en tant que butch. C'est compliqué.

Il semble qu'il y a un manque dans notre langage pour discuter de ce que veut dire être visible en tant que personne LGBTIA+, et la façon dont ça nous affecte en tant qu'individus ou couples. De ce que j'en sais, les termes que nous avons semblent repousser certaines personnes en fonction de qui elles fréquentent, ou en fonction de leur apparence, ce qui est réducteur.

Je ne pense pas non plus que la visibilité implique automatiquement plus de privilège. En fait, ça peut être tout le contraire. Si être vu·e comme hétérosexuel·le par d'autres personnes hétérosexuelles peut apporter une certaine sécurité, cela peut également être ressenti comme un effacement ou une répression quand vous êtes dans le placard. Prenons pour exemple une femme lesbienne, dans un lieu de travail dangereux. Soit elle reste au placard et “passe pour hétérosexuelle”, soit elle fait son coming-out et risque de subir des violences. Ça remet également en question l'idée d'être au placard.

Si “passer pour hétérosexuel·le” est un privilège généralement, un enfant gay au placard a-t-il des privilèges ?

Pas vraiment. Ils subissent toujours le préjudice de vivre dans un monde où ils doivent être au placard. Ils subissent toujours l'homophobie, ce qui n'est pas un privilège. Il y a peut-être des privilèges à être au placard, comme la sécurité, mais il s'agit d'un échange, une position sociale en échange de la répression de votre identité. Si vous devez gagner des privilèges en vous réprimant, en étant au placard, ou en effaçant votre genre/sexualité, ce n'est pas un privilège.

Une personne au placard se cache pour bénéficier de la sécurité. Celle-ci est rémunérée par le fait de se cacher. Le privilège est par nature une chose qu'on ne gagne pas. Certes, cette expérience est différente de la mienne, mais à la fin de la journée, nous restons opprimé·es par le même système de pouvoir.

Tant que ces systèmes sont en place, toute personne LGBTIA+ est affectée par ceux-ci à différents degrés. Il est donc important de ne pas nier le préjudice inhérent à cette situation pour quiconque. Nous ne pouvons pas considérer que le fait d'être caché·e ou de se dissimuler comme un privilège général. Nous pouvons et devons parler des bénéfices d'être perçu·e comme hétérosexuel·le sans insinuer que ces personnes, particulièrement les personnes aux identités multisexuelles*, ont un privilège par rapport aux autres personnes de la communauté sur la seule base de leur capacité à se mélanger. Si le fait de dépendre de la fausse perception qu'une autre personne a de vous est ce qui affecte directement votre niveau de sécurité, c'est le contraire d'un privilège.

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NdT: En ce qui concerne les personnes trans, Julia Serano parle d'un privilège conditionnel cisgenre pour les personnes trans qui sont bien genrées, sans qu'on remette en question le genre dans lequel elles s'identifient. Conditionnel pour le fait qu'il n'a rien de certain, qu'il est acquis par les efforts d'une personne trans et par l'action de genrage.

Exemple : Si vous pouviez amener votre partenaire prétendument hétéro à Thanksgiving mais que vous ne pouviez pas amener votre partenaire prétendument gay à Thanksgiving en raison d'une famille homophobe, le fait d'être révélé dans cet environnement où vous deviez passer pour "hétéro" signifie une menace de violence plus élevée si les choses tournent mal. C'est également la raison pour laquelle les femmes bi connaissent le taux le plus élevé de violence interpersonnelle de toute la communauté.

Ce type de pression n'a rien d'un privilège général, même s'il offre une sécurité à court-terme, une sécurité conditionnelle. Ce type de sécurité est le fruit d'un travail et on doit sans cesse le maintenir. Il offre des avantages et des inconvénients, mais ce ne sera jamais la même chose qu'un vrai privilège hétérosexuel, qui est une protection accordée uniquement aux personnes hétérosexuelles.

J'aimerai des termes plus justes.

Nous devons parler du risque accru de violence auquel sont confrontés les personnes en non-conformité de genre et les couples de genre similaire. Il y a une différence, et elle doit compter. Ma petite amie et moi devons regarder des deux côtés avant de nous embrasser en public quand nous traversons une rue passante. J'ai dû traverser le rayon des costumes d'une boutique Macy's (NdT : chaîne de magasins états-unienne basée à New York), scruté par des dizaines de regards. Une lesbienne qui s'habille de manière féminine ne ressent peut-être pas cette même peur existentielle, mais je repousse les membres homophobes de ma famille avec ma coupe de cheveux et leur capacité à me faire "passer pour hétéro" me laisse la possibilité de supporter les comportements bigots pendant un repas de famille. Je ne peux pas imaginer ce sentiment d'anxiété.

Je ne suis peut-être pas considéré comme homosexuel, mais je le suis quand même, et pour tous ceux qui nous ressemblent, ces avantages ne vont pas plus loin.


*Multisexuelle: Orientations incluant de nombreux genres (c'est-à-dire bisexuel, pansexuel, polysexuel, omnisexuel, etc.)