C'est quoi l'entraide ?

Source: What is Mutual Aid ?

Auteurices: Sub.Media

Traducteurice: MaddyKitty

Publié initialement: 2016


L'entraide est un facteur qui guide la pratique anarchiste, et un cadre essentiel pour la compréhension anarchiste de l'organisation sociale de manière générale. Mais c'est quoi exactement ?

Dans sa forme la plus simple, l'entraide c'est ce qui motive deux ou plusieurs personnes à travailler ensemble pour résoudre un problème dans l'intérêt partagé de ces personnes. En d'autres mots, il s'agit de coopérer au nom du bien commun.

Ainsi comprise, l'entraide n'est ni une idée nouvelle, ni une idée spécifique aux anarchistes. En fait, les premières sociétés humaines pratiquaient l'entraide pour survivre, et aujourd'hui encore il y a d'innombrables exemples de cet ordre dans les règnes animaux et végétaux.

Pour comprendre la façon dont l'anarchisme comprend spécifiquement l'entraide, nous devons remonter 100 ans en arrière, aux écrits de l'auteur Pierre Kropotkine, qui en plus de porter une des barbes les plus longues de tous les temps, était également un zoologiste accompli et un biologiste évolutionniste.

Pierre Kropotkine (1842-1921)

Du temps de Kropotkine, le champ de la biologie évolutionniste était lourdement dominé par les idées des darwinistes sociaux comme Thomas Henry Huxley. En appliquant de façon systématique le fameux dicton de Charles Darwin “la survie du plus fort” aux sociétés humaines, Huxley et ses pairs en ont conclu que les hiérarchies sociales existantes étaient le résultat de la sélection naturelle, ou de la compétition entre des individus libres et souverains, et étaient donc un facteur important et inévitable dans l'évolution humaine.

De façon peu surprenante, ces idées furent particulièrement populaires chez les riches hommes blancs, en ce qu'elles leur offraient une justification pseudo-scientifique pour leurs positions privilégiées dans la société, en plus d'offrir une rationalisation scientifique de la colonisation européenne en Asie, en Afrique et dans les Amériques.

Kropotkine, dans son livre de 1902 L'entraide : un facteur de l'évolution, s'est attaqué à ce savoir conventionnel. Il y prouve qu'il y a autre chose que la compétition aveugle et individuelle à l’œuvre dans l'évolution.

Kropotkine y démontre que les espèces capables de travailler ensemble, ou de former des arrangements symboliques avec d'autres espèces basés sur un bénéfice mutuel, étaient capables de mieux s'adapter à leur environnement, et bénéficiaient d'un avantage concurrentiel par rapport aux espèces qui ne faisaient ou ne pouvait pas le faire.

Dans nos sociétés métropolitaines actuelles, les individus s'imaginent indépendants et auto-suffisants, possédant leur propre appartement, un compte bancaire, un smartphone et un profil Facebook. Cependant, cette notion d'indépendance humaine est un mythe promu par les entreprises et les États entretenu afin de nous séparer, de nous façonner en tant que consommateurs atomisés et facilement contrôlables, préoccupés avant tout par notre bonheur à court terme. La vérité est que les humains sont particulièrement interdépendants. En fait, c'est même la clé de notre succès en tant qu'espèce.

Avez-vous déjà pensé à la provenance de votre nourriture, ou à la provenance de vos vêtements ? Au travail ou aux matériaux qui ont servi à construire votre logement ou votre voiture ? Si nous étions livré·es à nous-même sans le confort de la civilisation, peu d'entre nous pourraient survivre une semaine, et encore moins seraient capables de produire une fraction de la myriade de produits que nous consommons chaque jour.

Des grandes pyramides commandées par les pharaons de l'ancienne Égypte à la production mondiale actuelle, la fonction première des classes dirigeantes est d'organiser l'activité humaine. Et partout où ils le font, c'est par la coercition. Sous le capitalisme, cette activité est organisée par la violence directe, ou la menace intériorisée de la famine créée par un système basé sur la propriété privée des richesses et des biens.

Le capitalisme peut inspirer les individus à faire des choses merveilleuses, tant qu'un profit est réalisé. Mais en l'absence de cette motivation, de nombreuses tâches ne seront et ne peuvent pas être accomplies, depuis l'éradication de la pauvreté globale et des maladies évitables à la suppression des plastiques toxiques dans les océans. Dans le but de prendre en charge ces tâches monumentales, il nous appartient de changer l'éthique qui nous connecte les un·es aux autres et au monde qui nous nourrit. Un abandon du capitalisme pour l'entraide.

Des bribes de l'idéal anarchiste de l'entraide peuvent être vues dans les communautés de développement open source, et dans les personnes qui inventent de nouvelles formes de cryptage pour déjouer la surveillance de la NSA. On peut les voir dans l'organisation de crèches collectives dans les voisinnages, et dans les conséquences des ouragans Katrina et Sandy, quand l'absence de réponse étatique a poussé les gens à s'entraider. On peut également le voir dans la bravoure des casques blancs d'Alep, qui risquaient leur vie pour sortir les enfants des décombres des bâtiments touchés par les bombes d'Assad.

Imaginez un monde où l'activité humaine n'est pas organisée sur la base d'une compétition sans fin pour des ressources artificiellement rares, mais sur la poursuite de la satisfaction des besoins humains, et vous comprendrez la vision du monde que les anarchistes cherchent à créer.